Un article, en passant…

Tempus fugit. Je fais le point sur mes articles pour mon dossier de qualification aux fonctions de professeur. Je réalise que j’ai beaucoup écrit de textes hybrides, ni véritablement articles scientifiques, ni totalement conférences grand public, mais à la confluence des exigences de clarté et de remise en question de savoirs établis qui caractérisent les deux exercices. J’ai pris la décision d’ajouter à mon dossier d’historien du droit des articles traitant spécifiquement des liens entre le corpus utopique et la science-fiction, sous l’angle de la culture juridique. Une façon d’assumer pleinement mon parcours. Mais, celui qui suit, sur le merveilleux scientifique,  texte d’une conférence présentée en marge des Journées interdisciplinaires Science & Fiction de Peyresq, était hors-sujet pour mon dossier. D’abord, il y manque un vrai appareil critique. Ensuite, je n’y parle ni vraiment de norme, ni d’utopie, ni même d’anthropologie juridique. Enfin, il doit beaucoup aux travaux de Jacques Goimard, de Jacques Van Herp, et, bien sûr, de Serge Lehman dont il n’est qu’un modeste et respectueux écho. Alors, je le mets en ligne, ici, avec l’espoir qu’il vous intéressera, lecteurs curieux plutôt que passionnés à l’érudition sans faille, et que le vernis du temps qui l’a déjà patiné (il date de 2010) ne le rend point totalement obsolète. S’il vous donne envie de relire des oeuvres, ma foi, c’est gagné ! Et puis, j’y affirme clairement ma fascination pour les Grands Anciens, les Pères Fondateurs, les Textes-sources. Or, je remarque que, depuis, je n’ai cessé d’en revenir, de plus en plus, tant en matière de droit qu’en termes d’écriture, aux Origines. À l’heure où tous clament le retour du space-opera, voilà que je m’engage, plus profondément que jamais, aux tréfonds de la mémoire. Tempus revelat. 

« La science-fiction,

une histoire du merveilleux scientifique

de Jules Verne à Arthur C. Clarke »

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INTRODUCTION : De Merlin à Maurice Renard, des merveilleux au merveilleux scientifique.

 

            Je commencerai par une affirmation, quelque peu provocatrice : nous ne vivons plus, aujourd’hui, en Occident, une époque d’émerveillement scientifique.  La science nous apparaît-elle encore surprenante, toute-puissante, susceptible de changer notre conception du monde, notre « vraisemblable » (pour reprendre le terme utilisé par Jacques Goimard, analyste érudit, s’il en est, de la science-fiction) ainsi qu’elle l’a fait à la Renaissance, avec la révolution cosmologique et physique de Kepler, Copernic, Galilée, et le développement de la balistique de Nicolo Tartaglia, ou ses mathématiques bancaires ? Ou comme ce fut le cas, avec l’industrialisation accélérée au tournant du XIXème siècle ? Non. Depuis le milieu du XXème siècle, nous sommes « acculturés » à la science et à ses applications. Il n’est pas un mois sans que nous soit proposé un « pack » médiatique de nouveautés « high-tech » (iPhone 4G+, iPad, écrans tactiles, plats, et ultra-légers, souples, bientôt à rouler sous le bras, encre et livres électroniques, et autres solutions de communication instantanée, voire d’ubiquité sur le réseau mondial, avec Facebook, Twitter, mille et un blogs gratuits, etc), mais aussi son lot de découvertes scientifiques qui devraient susciter l’enthousiasme, ou l’inquiétude, mais laissent la plupart de nos contemporains indifférents : O.G.M, pastèques sans pépins, nanotubes de carbone, nouvelles molécules amaigrissantes, mise au jour d’un complexe funéraire aztèque, décompte accéléré des exoplanètes dans toute notre galaxie, télescopes géants capables de « voir » le Big Bang, etc… Tout cela, dans le grand public, ne suscite au mieux qu’un « c’est fou ce qu’ils arrivent à faire, hein ? », haussement de sourcils vite vaincu par l’ennui. La conquête de l’espace, fer de lance de la science conquérante du siècle dernier, est à l’arrêt : nous ne sommes pas capables d’aller sur Mars, la Lune reste en friche, exploiter les ressources du système jovien est un rêve fou, « de la science-fiction », comme on dit. Et l’analyse de l’atmosphère complexe de Titan, à la chimie prébiotique qui laisse sous-entendre que la vie est possible dans des conditions extrêmes, conséquence de la mission Cassini-Huygens, a déjà été oubliée. Les révolutions scientifiques, les avancées technologiques sont devenues si quotidiennes, si rapides, qu’elles ne suscitent plus guère d’étonnement que les brassées de « miracles » ou les manifestations de la colère divine, voire du Malin, que l’homme du Moyen-Âge croyait déceler à chaque bonne récolte, ou à chaque famine, épidémie décimatrice, ou cheval boiteux. Nous vivons à une époque de désenchantement scientifique, dans laquelle, tout en continuant en croire à la science, nous en revenons souvent à la superstition, voire à des cultes composites, prêts-à-l’emploi, comme si l’orthodoxie de la rationalité scientifique que les siècles précédents nous ont léguée, nous pesait autant que les dogmes usés des grandes religions du Livre. Pire, nous avons cessé de croire qu’un autre monde économique, politique, moral, est possible, dont la naissance serait facilitée par la science. C’est comme si la science, en triomphant, avait ôté du cœur de l’homme occidental toute capacité à l’émerveillement, ne lui laissant qu’un sens confus de l’inquiétude, qu’il dissipe en consommant ses productions, toutes destinées à le conforter dans son acceptation du réel.

            Et pourtant…

         Il a existé, et il surnage peut-être encore, ici et là, prêt à ressurgir, un merveilleux scientifique, qui contredit l’apparente dichotomie que je viens de poser. Mais, avant de le définir, d’en présenter l’histoire, le développement et le rôle dans le rapport de l’Occident à la Science, il faut d’abord en revenir aux racines du merveilleux. Revenons en arrière dans le temps, jusqu’aux origines, à ce qu’on appelle communément « la matière de Bretagne » et qui a pour avantager de mêler étroitement deux sources essentielles du sens du merveilleux occidental : le magique et le miraculeux, c’est-à-dire, le merveilleux païen (hérité des mythes polythéistes, gréco-romains et celtiques) et le merveilleux chrétien, qui se cristallise notamment dans l’imaginaire arthurien et la quête du Graal. Entre le Xème et le XIVème siècle, ce merveilleux se résume tout entier dans un personnage central, qui, paradoxalement, fait constamment référence à la science : Merlin. Je m’appuie ici, sur le texte de Robert de Boron, qui a joué un rôle essentiel au début du XIIIème siècle, dans le processus délibéré de « christianisation » de la figure du mage sylvestre, capable de mille et une transformations physiques (en loup, en vieillard, en enfant) et surtout capable de « voir » le futur, tout en possédant une connaissance universelle du passé. Ecrit en langue vulgaire, et inspiré librement des Prophétiae Merlini et de l’Histoire des rois de Bretagne de Geoffroi de Monmouth (1134), et du Roman de Brut (1155) de l’anglo-normand Wace, la figure de Merlin y acquiert toute sa plénitude : fils renégat du Diable, décidé à défendre le Bien dans le cœur des hommes en conseillant leurs plus grands rois, voire en agissant pour les installer sur le trône, à l’exemple d’Arthur, qui exprime une conception providentielle de l’Histoire, héritée de Saint-Augustin, Merlin use autant de magie que de science, et bien souvent, appuie ses prophéties sur des phénomènes naturels qu’il laisse délibérément passer pour merveilleux. Ainsi, lorsque les rois de Bretagne, Uter et Pendragon, luttent contre les envahisseurs Saxons, c’est une comète, ou un météore, dont l’apparition a été prévue, sinon calculée précisément, par Merlin, qui annonce leur victoire. Voici le passage dans le texte de Robert de Boron : « c’est alors qu’apparut dans les airs le monstre dont avait parlé Merlin, un dragon vermeil qui volait dans l’espace et qui crachait feu et flammes par les naseaux et par la gueule sous les yeux de tous. Cette apparition provoqua l’effroi et la panique dans l’armée des Saxons »[1]. La science, ici l’astronomie, est utilisée par le devin et sert, on le voit, à décupler le merveilleux de sa prophétie. Les exemples en sont nombreux, comme si la science, sous l’apparence de la magie païenne, puis du miraculeux chrétien, préparait déjà le terrain de son propre merveilleux.

            Le merveilleux qui naît de la science continue à se développer et on peut considérer qu’il connait un premier point culminant, au XVIIème siècle, lorsque se multiplient, ainsi que nous l’avons déjà suggéré, les nouvelles sciences appliquées à la guerre et à l’économie marchande. La balistique, les mathématiques, la géographie, etc. C’est aussi l’époque des premières utopies scientifiques, où la science, en concurrence, ou en prolongement du rêve d’institutions parfaites, vient fonder la cité idéale : c’est le cas notamment dans la Nouvelle Atlantide (1627) de Francis Bacon, ou dans le Palais d’Uranie de l’astronome Tycho Brahé, bâti sur une île-laboratoire dédiée à l’astronomie, que le prince Frédéric II du Danemark, archétype du prince éclairé par la science, lui avait offerte. Au XVIIIème siècle, la science semble même devenir la clef des futurs radieux, même si ceux-ci s’inscrivent encore assez largement sous l’angle de la satire du présent, comme dans l’An 2440, rêve s’il en fut jamais (1771), de Louis-Sébastien Mercier.

            Mais, revenons-en à ce XIXème siècle, où est né le « roman merveilleux-scientifique », au sens strict du terme, c’est-à-dire tel que le définit le français Maurice Renard dans un article de 1909. Il en pose clairement l’ambition et l’identité : « admettre comme certitudes des hypothèses scientifiques (…) prêter certaines propriétés d’une [notion] à l’autre (…) appliquer des méthodes d’exploration scientifique à des objets, des êtres ou de phénomènes crées dans l’inconnu par des moyens rationnels d’analogie et de calcul, avec des présomptions logiques ». Renard, qui, avec plus d’une dizaine de romans, tels que le Docteur Lerne, sous-dieu (1908), Le voyage immobile (1909), ou encore Le Péril bleu (1912), ne s’est pas contenté d’être le théoricien du merveilleux scientifique, fait là l’éloge d’un nouveau type de roman, tout entier fondé sur l’émerveillement procuré par la mise en scène de la science ou de ses applications, sans faire le sacrifice de l’élégance littéraire qui, en France au moins, doit caractériser le roman bourgeois : « il nous découvre l’espace incommensurable à explorer en dehors de notre bien-être immédiat (…) Il brise notre habitude et nous transporte sur d’autres points de vue, hors de nous-mêmes ». Avant l’article de Maurice Renard, les frères Goncourt, visionnaires, avaient déjà identifié tout le potentiel novateur du « roman scientifique », qu’ils défendaient dès 1856 : « Quelque chose que la critique n’a pas vu, les signes de la littérature du XXème siècle. Le miraculeux scientifique, la fable par A plus B (…) Plus de poésie, de l’imagination à coup d’analyse (…) la base du roman déplacée et transportée du coeur à la tête et de la passion à l’idée : du drame à la solution »[2]. Cet appel à l’évasion, suivi d’un retour à la réalité, que l’on perçoit, dès lors, avec un regard neuf et plus lucide, a constitué au long du XXème siècle, et aujourd’hui encore, la quintessence de la science-fiction, largement portée par les auteurs anglosaxons et américains, virtuoses du « sense-of-wonder », même s’il ne faut pas oublier qu’ils ne sont pas des solistes, et que l’orchestre de l’imaginaire scientifique est bel et bien international. Nombreux ont ainsi été les théoriciens du merveilleux scientifique, depuis Renard. Dans un article érudit, Jacques Goimard évoque pour sa part, le passage entre les « premier et second vraisemblables » que seule la science-fiction permet d’opérer. La définition même du merveilleux scientifique, et de ses frontières, n’est pas la propriété exclusive de Renard, dont les choix ne reflètent pas, et loin s’en faut, la richesse de la science envisagée comme objet littéraire.

            Ainsi, lors des journées interdisciplinaires « Sciences & Fictions » de Peyresq, qui, sous l’égide de l’Institut Robert Hooke de Culture Scientifique, réunissent, depuis 2007, des auteurs de science-fiction, analystes du genre, et des chercheurs de nombreuses disciplines universitaires (physique, mathématiques, lettres, histoire, science politique…), la question de la nature du merveilleux scientifique a souvent été abordée. Et, à travers les débats modérés, il est apparu qu’il existait plusieurs formes de merveilleux scientifique, qu’il est possible, essentiellement, de résumer en deux grandes branches, comme l’a proposé Simon Bréan, spécialiste de l’histoire de la science-fiction d’expression française : il y aurait, d’un côté, les textes centrés sur l’enchantement de l’objet technique en lui-même, dans sa nouveauté, dans les changements qu’il apporte, par sa mise au point et son utilisation, que celle-ci soit ponctuelle ou généralisée, qu’on peut qualifier de « merveilleux scientifique » au sens étroit, et, de l’autre, les textes qui se focalisent sur la mise en scène d’un monde futur ou parallèle, largement hypothétique, qui s’appuie plutôt une « spéculation » quant à l’impact social de la science (i.e. les « technosciences »), et qui se rapproche beaucoup plus de la « science-fiction », au sens contemporain du terme. Et ces deux types de merveilleux scientifique semblent à la fois se succéder, le premier l’emportant largement sur le second durant le « long » XIXème siècle, et se superposer, puisqu’il serait tout à fait faux de croire qu’au cours du « siècle des Extrêmes », les textes centrés sur l’objet technique ont disparu, quant, au contraire, ils se sont multipliés à la suite de la mise au point de l’arme nucléaire. Nous allons donc développer, selon un plan chronologico-thématique, depuis la naissance jusqu’à « l’extinction », ces deux merveilleux scientifiques et en mesurer la convergence au fil du temps, en deux grandes parties, l’une sur les bâtisseurs du XIXème siècle, l’autre sur les ingénieurs du XXème siècle.

            Mais, il faut toutefois rappeler que d’autres grilles d’analyse étaient possibles, que nous évoquerons, de façon périphérique. Il est envisageable de distinguer le merveilleux scientifique qui découle de l’absence de compréhension de la science, de celui qui rayonne, au contraire, de l’explication détaillée du phénomène scientifique, dont Jules Verne fut le champion. D’autres typologies existent : celle de Tzvetan Todorov, par exemple, strictement littéraire, qui identifie le merveilleux scientifique par l’existence d’un univers secondaire qui ne provoque pas systématiquement des effets d’inquiétude, comme le fantastique, tout en se prévalant d’une base scientifique. Mais, il est temps, à présent, d’emprunter le pont entre science et merveilleux, tel qu’il fut bâti par les auteurs et théoriciens européens, et principalement français et anglais (I), avant de suivre le travail, efficient et méthodique, des ingénieurs de la science-fiction mondiale (II).

 

I – LES BÂTISSEURS EUROPEENS DU PONT

ENTRE SCIENCE ET MERVEILLEUX

(1863 – 1939)

 

            Résumé : la naissance du roman merveilleux-scientifique, est, pour l’essentiel, le fruit de la construction d’un pont inédit entre la science et le merveilleux, par les auteurs anglo-saxons, d’une part, et les auteurs français, et francophones, d’autre part. Mais, en bâtissant leur pile porteuse, de chaque côté de la Manche, ils importent, leur différences culturelles, leur appréhension spécifique de la science, de la technique et des futurs qui en découlent. En France, si tout a commencé avec l’armateur génial roman scientifique que fut Jules Verne, grâce aux circonstances et à la complicité visionnaire de son éditeur, Hetzel, autant que par son talent propre, les auteurs français s’imposent plus commes des chasseurs de chimères que comme des explorateurs des futuribles, qu’ils dénient largement (A). Alors que les anglais, eux, au contraire, s’engagent résolument dans l’appréhension des mécanismes et des conséquences pratiques de la science qui s’applique : ils enchantent l’objet technique et interrogent l’impact social de la technique, préférant à la réflexion philosophique pure, l’enquête sur les processus historiques à l’oeuvre à la veille de la première guerre mondiale (B).

 

A/ La « pile » francophone du merveilleux scientifique

a) Jules Verne, « l’armateur » du roman scientifique

            Le premier des Voyages Extraordinaires de Jules Verne paraît chez l’éditeur Hetzel, en 1863 ; il s’agit de Cinq semaines en ballon, qui narre une traversée audacieuse du continent africain grâce à un ballon à hydrogène aux performances décuplées. Mais, pour comprendre véritablement en quoi l’œuvre de Jules Verne révolutionne le rapport entre science et littérature, en quoi elle fonde ce qui deviendra plus tard la science-fiction, il faut revenir en arrière à la rencontre avec Hetzel, et plus encore, à l’entourage immédiat de l’auteur. Etudiant moyen, d’un caractère à la fois fantaisiste et ombrageux, boulimique, romantique déçu, tardivement marié à une veuve qui est déjà mère de deux enfants, Jules Verne a mis du temps à s’élancer sur le chemin de son devenir, au contraire de son frère cadet, navigateur. Il commence par écrire des pièces de théâtre, notamment Les Pailles rompues, représentée en 1850 sans succès. Jusqu’à la rencontre décisive avec Pierre-Jules Hetzel, en 1862, force est de constater que Jules Verne n’a pas publié une ligne qui puisse se rattacher au merveilleux scientifique. Et, lorsqu’il soumet son manuscrit du Voyage dans l’air à Hetzel, il n’a pas conscience, comme c’est souvent le cas dans la carrière d’un auteur de premier plan, qu’il s’agit là d’un « travail entièrement nouveau, le premier d’un genre qui va bouleverser la littérature de jeunesse »[3]. L’éditeur qui en perçoit immédiatement tout le potentiel commercial et pédagogique et, en le rebaptisant Cinq semaines en Ballon, s’appuie dessus pour lancer son Magazine d’éducation et de récréation. Le roman scientifique est né, et l’aventure littéraire qui en découle marquera durablement la culture française.

            Parallèlement, les relations sociales de Jules Verne se densifient : il rencontre Félix Tournachon, dit « Nadar » qui fonde, en 1863, la Société d’encouragement pour la locomotion aérienne aux moyens des plus-lourds-que-l’air, à laquelle participent savants et ingénieurs et dont Jules Verne sera nommé le censeur. Nadar, dont l’anagramme évident est « Ardan », l’un des personnages principaux du dyptique De la Terre à la Lune et Autour de la Lune, aura une influence importante sur les sources d’inspiration de Jules Verne et accompagnera son choix de privilégier, dans une relation contractuelle exclusive, voire léonine[4], avec Hetzel, le roman scientifique, en l’inscrivant entre pédagogie de la science et émerveillement des techniques qui en découlent. Quant à Hetzel, il devient le véritable père littéraire de Jules Verne et, conseil après conseil, directive après directive, il permet à son travail d’auteur d’atteindre tout son potentiel séducteur, en insistant surtout sur la dimension scientifique de l’intrigue, sans hésiter à secouer un peu son auteur lorsqu’il le juge nécessaire : « Où est la science ? Quatre-vingt-deux pages de texte et pas une invention que le dernier crétin n’eut trouvée. Lâchez tous ces types et recommencez avec de nouveaux ! »[5]. L’île mystérieuse, suite brillante de Vingt Mille Lieux sous les Mers, qu’avait rebaptisé Hetzel qui jugeait, à juste titre, que le titre original, Le voyage sous les eaux, était trop vague, porte la marque de l’éditeur et reste l’un des « petits chefs-d’œuvre » de Jules Verne, tant sur le plan des personnages que sur celui du substrat scientifique, avec le retour du capitaine Nemo, et des certains des enfants du capitaine Grant, mais surtout le rôle crucial de cet ingénieur américain, Cyrus Smith, ce nordiste qui s’échappe en ballon et s’écrase sur une île perdue du pacifique ; là, il organise scientifiquement la vie de ses compagnons d’infortune pendant près de quatre années, leur apprenant à construire un four, à élaborer de la nitroglycérine, construire un ascenseur hydraulique, et alimenter un télégraphe en électricité : bref, il s’impose comme l’un des personnages les plus emblématiques du roman scientifique à la manière vernienne, acteur par lequel s’exprime le merveilleux scientifique. Mais, il n’est pas seul, et loin s’en faut ! Dans les Voyages extraordinaires, les personnages d’ingénieurs, d’astronomes, de chimistes, voire de professeurs, que l’auteur ne gâte souvent pas, sont légion et toujours au cœur de l’action : citons, pour mémoire, le professeur Aronnax, passager forcé du Nautilus, chroniqueur de l’odyssée sous-marine du capitaine Némo qui voit en lui un « esprit supérieur en mesure de l’écouter », l’ingénieur Banks de La Maison à Vapeur, qui réalise les caprices d’un maharadjah grâce à ces capacités techniques, sans renoncer à sa liberté d’esprit, l’astronome Everest qui partage l’Aventure de trois Russes et de trois Anglais dans l’Afrique australe, venu mesurer un arc de méridien, en vue de l’adoption par les deux nations d’un système métrique commun, docteur Johausen, l’Allemand qui tente de percer le langage des gorilles et n’hésite pas se jouer de Darwin, au risque d’être ridicule, dans Le village aérien, le professeur Otto Lidenbrock qui s’enfoncera jusqu’au centre de la Terre, en déchiffrant le cryptogramme d’Arne Saknussemm, Cyprien Méré, jeune et brillant polytechnicien qui tente l’aventure de la prospection et met au jour un charbon cristallisé de 300 grammes qui sera baptisé l’Etoile du Sud, le docteur Ox, qui, assisté de son prépateur Gédéon Ygène, met ses talents de chimiste au service d’un ville toute entière tombée dans l’apathie, Palmyrin Rosette, professeur, chauve et hargneux, qui devient le passager d’un île glacée emporté par une comète et sauvé par Hector Servadac, et l’horloger genevois Zacharius à qui Jules Verne prête l’invention de l’échappement et qui tente de mesurer son savoir-faire technique avec le pouvoir du Créateur lui-même.

            Toutefois, derrière les personnages, se sont surtout les sciences et les techniques qui, au sens littéral, innervent les récits verniens, leur donnant à la fois leur ressort dramatique et leur charge de merveilleux. La balistique y est tout particulièrement à l’honneur et les canons, que ce soit la Columbiad de 68 000 tonnes de fonte de fer, coulée dans un puits foré à même le sol, et qui, grâce à 200 tonnes de coton azotique (pyroxyle), propulse l’obus d’Ardan, Barbicane et Nicholl, jusqu’à sa destination lunaire, ou le canon géant du docteur Schultze dans Les Cinq cent millions de la Bégum, servent souvent de déclencheurs au merveilleux, à l’égal de monstres de métal, fendant l’azur ou plongeant au fond des océans. Et, en la matière, Jules Verne apporte une innovation essentielle : loin d’épaissir les mystères de la science, il les dissipe. Loin de prophétiser, il éduque. Ainsi, les scaphandres du Nautilus, ou les combinaisons de survie des Tribulations d’un Chinois en Chine : étonnamment modernes et méticuleusement décrits. Ainsi encore, la question de l’éclairage par arc électrique, qui est l’une des marottes de Verne à ses débuts : le docteur Fergusson dans Cinq semaines en ballon improvise un éclairage avec une pile de Bunzen et deux charbons, le puissant projecteur du sous-marin de Nemo fonctionne sur le même principe, mais ce sont surtout les inoubliables lampes à bobine d’induction, dites « lampes de Ruhmkorff » du Voyage au Centre de la Terre, écrit en 1864, qui émerveillent les jeunes lecteurs tout en étant longuement décrites par l’auteur, à partir des connaissances électriques de son époque : alimentées par des piles à éléments Bunzen provoquant des décharges au travers d’un résidu de gaz carbonique enfermé dans un serpentin de verre, elles fournissent une lumière blanchâtre efficace jusqu’à cinquante mètres. Rappelons que l’invention de l’ampoule électrique par Edison date de 1877. Enfin, Jules Verne ne passe pas à côté de la télégraphie, mise au point en 1842 en France, et qui n’est plus une nouveauté, mais évoque le câble transatlantique, que croise le Nautilus. Et dans l’Île Mystérieuse, l’ingénieur Smith relie par télégraphe alphabétique le corral à Granite-house par un câble métallique filé sur place avec des moyens de fortune, et Nemo allonge la ligne pour y relier son sous-marin.

            Loin de l’anticipation, choisie par d’autres auteurs tels que Herbert George Wells, dont il se désolidarise en s’écriant « je me sers de la science, il l’invente »[6], ou d’illustrateurs, comme Albert Robida, ou son fils, Michel Verne, qui y cède dans une nouvelle intitulée « Au XXIXème siècle : la journée d’un journaliste américain », en décrivant la télégraphie sans fil, Jules Verne s’est fait le « chantre » du présent et se situe du côté des passeurs : il s’emploie à mettre en scène les nouveautés de la science, alors qu’elles sont encore frémissantes, et que l’esprit du public n’y est pas accoutumé, et il en fait la source d’un émerveillement d’un nouveau type, rationnel, lumineux, positif, en s’appuyant sur de nouveaux outils narratifs. Au fond, de ce point de vue, Verne est « fermement planté dans son époque », et écrit à un moment où la science n’est pas encore « assez mûre pour pouvoir être affranchie »[7]. Il fonde véritablement le roman scientifique en séparant le merveilleux du mystérieux, et si son merveilleux est plus sobre, moins allégorique, que celui des Rosny et des Messac, il existe bel et bien. Il se fonde sur la vapeur et l’électricité, forces motrices de son époque, qu’il magnifie littéralement dans des rêves extraordinaires qui ne sacrifient pas à la vraisemblance scientifique. Et le succès est au rendez-vous : les Verne finiront pas donner des bals fastueux, ou « Nadar » se distinguera « en surgissant de l’obus lunaire »[8] sous les yeux écarquillés de 350 invités, tandis qu’Offenbach annonce un opéra-bouffe inspiré du Docteur Ox.

b) Rosny Aîné et les chasseurs de chimères

            À la suite de Jules Verne, nombreux seront les auteurs français, ou francophones, à tenter d’intégrer de la science merveilleuse dans le roman, à des degrés divers de science et de merveilleux. On peut citer Camille Flammarion et ses Récits de l’Infini (1872), Didier de Chousy avec Ignis (1883), Villiers-de-l’Isle-Adam et son Eve future (1886), Albert Robida pour l’Horloge des Siècles (1901), Alfred Jarry, qui avait sous-titré Le surmâle (1901) « roman néoscientifique », Jean de La Hire et La roue fulgurante (1907), sans oublier le Le Prisonnier de la planète Mars (1908) de Gustave Lerouge, qui croit que la téléphatie est une science et atteste ainsi du lien qui existe entre l’histoire de la dépertinence scientifique et du merveilleux éponyme. Mais la plupart des auteurs n’entendaient faire là qu’une expérience littéraire, et le plus souvent ponctuelle. Il s’agissait, pour eux, de marier le formalisme du roman bourgeois à la rigueur froide du raisonnement scientifique. En somme, faire du feu avec de la glace. Certains, toutefois, sont allés plus loin, comme Maurice Renard, qui avec plus d’une dizaine de romans, comme Docteur Lerne, sous-dieu (1908), Le voyage immobile (1909), ou Le Péril bleu (1912), ne s’est pas contenté d’être le théoricien du merveilleux scientifique.

            Les dominant tous, par son talent et la démesure de ses récits (pourtant mis de côté par Maurice Renard dans son article de 1909, qui, déjà,  disqualifiait ceux de Verne), il y a J. H. Rosny Aîné (de son vrai nom Joseph Henri Honoré Boex), et ce n’est pas un hasard si l’un des plus importants prix de la science-fiction française se place aujourd’hui encore sous son haut-patronage. Rosny est la figure de proue du roman scientifique tel qu’il se dessine dans l’entre-deux-siècles.

            Son « merveilleux scientifique » se situe à l’opposé de celui de Jules Verne. Alors que le Nantais demeurait fermement ancré dans le présent et la description technique, le Bruxellois investit les territoires du temps et se mêle de spéculation préhistorique, ou de donner corps à des futurs hypothétiques, avec Les Xipéhuz (1887), La Guerre du Feu (1911), La Mort de la Terre (1910), et, plus tardif mais très connu, Les navigateurs de l’Infini (1925). Les machines sont relativement absentes de ses récits et lorsqu’elles apparaissent, Rosny n’hésite pas à leur conférer des propriétés fabuleuses, sans souci de vraisemblance. Dans Les navigateurs de l’Infini, le vaisseau qui pointe vers Mars est le fruit d’une science future et totalement merveilleuse : « Les cloisons du Stellarium, en argine sublimé, d’une transparence parfaite, ont une résistance et une élasticité qui, naguère, eussent paru irréalisables et qui le rendent pratiquement indestructible. Un champ pseudo-gravitif, à l’intérieur de l’appareil, assurera un équilibre stable aux êtres et aux objets (…) nos appareils – générateurs et transformateurs – ne font pas de bruit ; les vibrations sont d’ordre éthérique… ». Du jargon pseudo-scientifique qu’aurait renié Jules Verne.

            Et pourtant… Scientifiquement Rosny est mieux « armé » que Verne pour incarner l’envol du merveilleux scientifique. D’abord parce qu’il a fait des études, bordelaises, en physique, en chimie et en sciences naturelles. Ensuite, parce qu’il assortit ses romans d’un certain nombre de notes qui les enracinent dans une appareil critique scientifique, comme dans La Mort de la Terre, qui traite de la puissance de l’atome. Et il fonde l’astronautique dans Les navigateurs de l’infini. De surcroît, Rosny est plutôt mieux intégré que Verne dans la société intellectuelle et littéraire de son époque : très proche de l’écrivain Edmond de Goncourt, qui avait bien perçu le caractère novateur du roman scientifique et avait pris Rosny sous son aile, il participe à l’exécution de son testament et à la fondation, en 1903, de l’Académie du Goncourt, dont le premier lauréat, Force ennemie de Joseph-Antoine Nau n’est rien moins qu’un pur roman de merveilleux scientifique. Rosny devient secrétaire, puis président de l’Académie, en 1926.

            Mais, le cas Rosny reste exceptionnel, car le merveilleux scientifique à la française va s’inscrire, au contraire de celui britannique, dans le déni du futur et dans la critique du progrès technique ; pris dans un spirale conservatrice, voire réactionnaire, il n’offrira pas toujours à ses auteurs la renommée qu’ils auraient pu mériter ; le groupe francophone, cerné partiellement par Renard, semble fasciné à la veille de la première guerre mondiale et, même après celle-ci, par la « catastrophe qu’il voit se profiler à l’horizon et dont il pressent qu’il n’y survivra pas »[9], et ses membres se refugient volontiers dans des mondes d’une ancienneté prodigieuse, dont Paris serait, à jamais, « la capitale universelle », à partir de laquelle les « chasseurs de chimères » s’élancent pour explorer les merveilles des airs et des océans, sinon des mondes extérieurs, tout en déjouant les complots atlantes et les invasions extraterrestres. La guerre brise son élan, la rend caduque et Régis Messac (1893-1945) en est tout à la fois l’incarnation tardive et le chantre nostalgique.

c) Les hypermondes échoués de Régis Messac

            Régis Messac fut, plus encore que Maurice Renard, le véritable « homme-orchestre » de l’école française du merveilleux scientifique et, en même temps, son involontaire exécuteur testamentaire. Romancier (Quinzinzinzilli, 1935), essayiste (Micromégas, 1936), traducteur et vulgarisateur pour de nombreuses revues scientifiques telles que La Fusée, La Science Illustrée, agrégé de grammaire, professeur à l’université de McGill, au Canada, il est aussi le fondateur de la revue Les Hypermondes, « organe officiel » du merveilleux scientifique à la française, qui impose à tous ses contributeurs un équilibre entre la mise en perspective du discours scientifique, et le souci de divertir le lecteur dès son premier éditorial : « Ce sont des mondes hors du monde, à côté du monde, au-delà du monde, inventés, devinés ou entrevus par des hommes à la riche imagination de poètes. Il faut, pour les visiter, entreprendre les voyages imaginaires, les voyages impossibles ». Le premier numéro date de 1935, et la revue aurait constitué un vivier pour les jeunes auteurs français, tout en les rattachant au courant anglais, puisqu’elle appelle à découvrir, au-delà de Verne, Wells et Poe, « les étrangers que l’on n’a jamais songé à traduire et les Français qu’on ne songe pas à lire ». Mais, elle fait long-feu et ne survit pas au second conflit mondial.

            Pourtant, les horreurs des deux guerres techniciennes où les machines mangent les hommes, ne suffit pas à l’expliquer. Serge Lehman pointe du doigt les causes endogènes de l’échec du merveilleux scientifique à la française : celles-ci sont à la fois d’ordre formel et substantiel. Sur la forme, aucun auteur français n’a cherché à adapter le style à la nouveauté du propos. C’est ce que Jacques Baudou appelle le choix de « la voie lettrée », du formalisme dogmatique, par opposition à « la voie populaire », pragmatique, qui fut celle des anglo-saxons, puis des américains. Sur le fond, ce qui nous intéresse le plus ici, c’est l’absence d’un enthousiasme pour la Science et les potentialités nouvelles. Régis Messac dans Quinzinzinzilli livre un roman post-apocalyptique hantée par la nostalgie d’une paix et d’un bonheur que la technique a rendu inaccessibles pour l’humanité. C’est là le fruit, amer, de la coupure typiquement française entre l’univers des sciences en prise directe avec le présent et celui de la littérature qui se veut intemporelle. Tous les romans scientifiques français, ou presque, sont portés par une morale conservatrice qu’exprime la destruction finale de la « merveille scientifique » et la restauration de l’ordre tranquille de la société bourgeoise. Les français réunis autour de Messac partagent « le pessimisme foncier, la haine du peuple et le désir de manger à l’heure »[10], quand leurs confrères anglo-saxons et américains, eux, pensent déjà la société d’après-demain. Au fond, les français préfèrent la rétrocipation à l’anticipation, et de ce fait, se placent dans l’ombre portée de Verne sans véritablement lui rendre hommage, puisqu’ils n’accueillent pas le présent et refusent d’affronter le futur, quand bien même, ils en perçoivent, à l’instar de leurs pairs anglosaxons, l’inéluctabilité. Verne et Rosny exceptés, et on comprend mieux qu’ils aient été ignorés par Maurice Renard dans son article de 1909, les auteurs français se considèrent comme des humanistes réfugiés dans un monde, certes merveilleux, certes scientifique, mais hantés de monstres froids, de dictatures menaçantes, qui utilisent la technique pour se perpétuer. Ils sont viscéralement xénophobes, et leur colère se déchaîne contre le progrès technique, qu’ils choisissent de fustiger plutôt que d’en neutraliser les dérives en proposant d’autres voies de développpement. Je crois qu’il faut mesurer, aujourd’hui, le message que nous livrent ces auteurs français. Il est, plus que jamais, est d’actualité. Voyons ce qu’il en est, à présent,  de l’autre côté de la Manche.

B/ La pile anglo-saxonne du « sense of wonder »

a) Les maîtres anglais du merveilleux scientifique

            Même si le courant anglo-saxon du merveilleux scientifique va rapidement trouver son autonomie et sa voix propre, il est probable que, malgré leur isolement respectif, c’est Jules Verne et Rosny Aîné qui, plus que tout autre auteur français, ont eu une influence prépondérante sur les auteurs responsables de son émergence dans les îles britanniques. Celui-ci est principalement incarné, outre-Manche, par les nombreux romans, nouvelles, et essais, d’Herbert George Wells qui, dès sa nouvelle The Chronic Argonauts qu’il publie en 1888 dans le journal de son université,  qualifie son propre travail de « scientific romances » qu’incarnent des oeuvres aussi inoubliables que La machine à explorer le temps (1895), L’île du Docteur Moreau (1896), L’homme invisible (1897), La guerre des mondes (1898), que ceux de Sir Arthur Conan Doyle, le père célébrissime de Sherlock Holmes, qui, dans les Aventures du professeur Challenger, en particulier, s’inspire manifestement des thèmes de Rosny Aîné, tout en les réinterprétant, sous un angle plus spéculatif, comme dans The Poison Belt (1913). Il faut citer également certains textes d’Edwin Abbott, en particulier Flatland (1884), qui met en scène des carrés et des cercles dans un univers bidimensionnel, intrigués par la troisième dimension, dans une allégorie tout à la fois christique et platonicienne, de Robert Louis Stevenson, dont les Docteur Jekyll et Mister Hyde (1886) interrogent à la fois la chimie, la biologie et la psychologie, encore hésitante, de la fin du XIXème siècle. Mais, c’est un autre auteur anglais, immense par le talent, rarement convoqué en matière de merveilleux scientifique, qu’il nous fournit la composition de la pile anglo-saxonne et les détails de son édification : Rudyard Kipling.

  1. b) Rudyard Kipling et l’enchantement de la technique

Né en 1865, l’année où Lewis Carroll envoyait Alice au pays de merveilles, Rudyard Kipling a grandi sous le règne de Victoria (1819—1901) et s’il fut le chantre incontestable de la grandeur de l’Empire britannique, il a également souvent tourné son regard vers le Nouveau Monde et ses mille possibilités. Il a côtoyé des auteurs comme Sir Arthur Conan Doyle, Henry James, grand maître américain du réalisme littéraire, mais son plus proche compagnon fut Henri Rider Haggard, avec qui il aurait collaboré pour Le Jour où la Terre trembla (1917). Kipling est l’exact contemporain de Herbert George Wells (1866—1946). Mais s’il sait verser, dans un certain nombre de textes, dans le merveilleux scientifique, il est aussi différent du père de la cavorite, qui emmène Les premiers hommes dans la Lune (1901), que Verne peut l’être de Rosny. Moins passionné par les mondes imaginaires, peu enclin à explorer des futurs hypothétique, il s’intéresse avant tout à l’objet technique et à sa nature profonde, à la relation que l’homme, l’ingénieur, voire l’humanité peut avoir avec lui. Et Kipling invente, littéralement, une forme bien spécifique de merveilleux scientifique à l’anglaise à laquelle il me faut rendre hommage ici, après qu’elle a été le sujet d’une session d’études interdisciplinaires à Peyresq : l’enchantement de la technique.

Les récits de Kipling touchant spécifiquement les domaines de la technologie sont, pour l’essentiel des nouvelles, assorties de quelques poèmes, dont l’écriture s’échelonne entre 1893 et 1932 : « Un fait » (« A Matter of Fact »), 1893, « Le Navire qui trouva sa voix » (« The Ship That Found Herself »), 1898, « .007 », 1898, « The Fairies’ Siege », dérivé de Kim, 1901, « Sans fil » (« Wireless »), 1904, « Avec le courrier de nuit » (« With the Night Mail »), 1909, « L’Enfance de l’air» (« As Easy as A.B.C »), 1917, « Dans le même bateau » (« In the Same Boat »), 1917, « L’Œil d’Allah » (« The Eye of Allah »), 1926, « En marge de la profession » (« Unprofessional »), 1932, auquel il convient d’ajouter « Les bâtisseurs de pont » (« The Bridge-builders »), 1902, qui donne, et ce n’est pas un hasard, son titre à cette première partie de mon intervention. Reprenons quelques-uns des textes de ce corpus, et voyons sur quel type de merveilleux repose l’appréhension kiplingienne de la technique. Si Kipling semble être à l’affût des sensations nouvelles produites par le monde technique moderne naissant, il faut toutefois souligner qu’il n’oublie pas de confronter le merveilleux scientifique en lui-même à celui, plus traditionnel, qui monte de la culture animiste des Indes britanniques, comme dans « En marge de la profession », où il confronte l’influence des astres avec des expériences du radium sur les cellules.

« Sans fil » est sans doute le texte le plus révélateur de tous. Kipling y met en scène un pharmacien phtisique et amoureux qui, plongé dans un état second, « capte » des vers immortels de Keats, tandis que, dans la pièce d’à-côté, on procède à l’essai (infructueux) d’un émetteur-récepteur d’ondes hertziennes. Le pharmacien se retrouve alors dans un état d’excitation similaire à celui du récepteur (qui, lui, ne reçoit rien) et les vers semblent « portés » jusqu’à son esprit par les ondes égarées qui n’ont pas atteint l’appareil. Ici, le merveilleux de la scène repose autant sur les mystères de l’inspiration poétique que sur les explications de caractère scientifique, et, même si Kipling n’est jamais explicite, il conjugue la pédagogie de la technique à une parabole surprenante sur le fonctionnement de l’esprit humain.  élodie Raimbault, qui a récemment soutenu sa thèse de doctorat sur Kipling, soulignait que ce dernier considérait l’inspiration comme « une transmission inexplicable scientifiquement ». Pourtant le fait est que le poème de Keats est parsemé de vers erronés, comme si la syntonisation mentale n’avait pas été parfaite. Kipling joue admirablement ici sur la magie de la radio, de l’objet technique lui-même, des ondes qu’il génère et qui transportent l’information, et « flirte » avec l’explication, sans y sombrer tout à fait, comme le montre cet extrait :

Pour reprendre ce que je disais sur ce cohéreur avant qu’il ne nous interrompît, la pincée de poussière est en fait de la limaille de nickel. Les ondes hertziennes, voyez-vous, viennent du ciel par l’émetteur qui les dissémine, et toutes ces petites particules s’assemblent — en latin cohaerere — les unes aux autres aussi longtemps que le courant les traverse. Á présent, il faut garder à l’esprit que le courant est produit par induction, et il existe de nombreuses sortes d’induction…

— Oui mais qu’est-ce que l’induction?

— Il est très difficile de l’expliquer sans entrer dans la technique. Mais, en gros, lorsqu’un courant électrique traverse un filament de fer, il dégage un important flux magnétique, et si vous disposez un autre filament de fer parallèlement au premier, au sein de ce que nous appelons son champ magnétique, eh bien, alors le second filament de fer sera lui aussi chargé en électricité.

De son propre fait?

— De son propre fait.

Dans « Le Navire qui trouva sa voix », Kipling va encore plus loin dans l’enchantement de l’objet technique, plus qu’il personnifie littéralement un navire entier, en lui donnant une identité, une voix propre, ou plutôt, un concert de voix qui illustre à la fois sa nature mécanique, reposant sur des éléments hétérogènes et complémentaires qui doivent aller de concert, pour que s’exprimer sa volonté. Kipling, virtuose, parvient à instaurer un véritable « lien d’empathie du lecteur avec l’objet technique lui-même », conçu comme un acteur à part entière du récit. Il donne vie au bateau. La fin du texte est significative : ayant pris conscience de son existence en tant qu’unité fondée sur des éléments hétérogènes, le navire acquiert le « je » et réalise qu’il appartient à une collectivité de navires, lorsqu’il arrive au port. La personnification amène la civilisation, même si celle-ci n’est qu’esquissée. Le texte est une sorte d’allégorie de la nécessité de former un groupe solide avec des individus différents, que ceux-ci soit de chair ou de métal. Le défi narratif était ardu et Kipling, à l’inverse des auteurs français trop dogmatiques, sut se doter des outils narratifs idoines : jonglant avec les points de vue, il parvient à faire dialoguer les différentes parties du bateau, en faisant s’exprimer successivement les moteurs, la coque, les cheminées, le pont principal, tout en suivant un chemin didactique : sa démarche d’émerveillement est bel et bien scientifique, il propose à ses lecteurs un chemin didactique.

En somme, le merveilleux scientifique chez Kipling tient au fait qu’il sait parler d’un objet technique en termes clairs et compréhensibles par un lectorat non-spécialisé, tout en réalisant à provoquer une identification à l’objet-personnage, provoquant l’enchantement à partir d’un mode d’emploi technique. C’est le cas dans Les bâtisseurs de pont :

Une plainte perçante courut le long de la ligne, achevée en hurlement, un cri mêlé de surprise et d’effroi ; la surface du fleuve blanchit d’une rive à l’autre entre les revêtements de pierre, et dans le lointain les môles disparurent sous les panaches d’écume. La Mère Gunga montait à fleur de rives, et un mur d’eau couleur chocolat l’annonçait en avant. Un grincement aigu domina le rugissement de l’eau : c’était la plainte des fermes retombées sur leurs amorces, tandis que la trombe du flot, emportant les soutiens de traverses, faisait le vide sous leur ventre de fer. On entendit les chalands gémir et moudre leurs bordages dans le tourbillon qui se forma au revers de la culée, leurs moignons de mâts montaient plus haut, plus haut, contre la ligne terne du ciel.

Ici, à la résistance des piles et des rivets du pont, Kipling oppose la puissance des différents dieux de l’Inde, dans un combat entre dieux et titans. La crue symbolise la colère de la déesse Gunga, et la « silhouette noire » du pont qui s’élève, qui prend vie, marque le défi de la réalisation technique née de la science des hommes. On pourrait y voir l’esquisse d’une mythologie moderne, basée sur l’animation du métal. Kipling, au fond, donne une âme à la modernité, en montrant à ses lecteurs « ce qui se cache derrière la machine ». Chez lui, la vapeur, force motrice par excellence, devient alors l’équivalent du « souffle divin », qui, jadis, enchantait le monde naturel. Le merveilleux, de divin devient scientifique, tout en gardant son caractère sacré.

In fine, force est de constater que la charge spéculative des textes de Kipling est rare, ce qui le rapproche encore de Jules Verne. Toutefois, deux occurrences sont intéressantes, et montrent les prémices de l’acception anglaise du « sense-of-wonder » qui, en dépassant le merveilleux scientifique, permet d’atteindre les rivages de la science-fiction au sens plein du terme. « L’Enfance de l’air »  est aussi un récit situé dans le futur, en 2005. Il montre la mainmise d’une compagnie, l’Aerial Board of Control sur les moyens de transports aériens qui « contrôlent la planète », ce qui conduit à une mise en question de la puissance de la démocratie face à la mainmise des monopoles multinationaux sur les moyens de transport. Une réflexion encore actuelle, qui annonce le glissement du merveilleux scientifique à l’anglaise vers une authentique forme de science-fiction, d’essence plus spéculative, et d’une ampleur de vue propre à susciter le vertige.

b) La voie étroite de l’horreur cosmologique, d’un continent à l’autre

            En guise de contre-exemple à l’enchantement de l’objet technique de Rudyard Kipling, chantre britannique de la société technicienne après avoir été celui de l’empire britannique, il faut évoquer l’œuvre marginale de Howard Philip Lovecraft (1890-1937), cet auteur américain de la Nouvelle-Angleterre, qui, à l’instar des auteurs français de merveilleux scientifique cités par Renard, a pressenti les puissances abominables qui pouvaient se tapir au détour des chemins que les sciences ouvraient à une humanité bien trop confiante en ses capacités et préféré se réfugier dans les replis chatoyants du rêve. Ses récits fondent une nouvelle mythologie qui s’appuie, paradoxalement, sur une appréhension scientifique de l’immensité de l’Univers. Il invente en quelquesorte « l’horreur cosmologique », négatif du merveilleux technique de Kipling, défocalisé, faisant appel, non à l’enchantement, mais à la peur, telle que la pratiquait aussi Edgar Allan Poe (1809-1849), père véritable, de l’autre côté de l’Atlantique, de la manière américaine d’appréhender la science dans le récit littéraire, et qui, avec Les aventures d’Arthur Gordon Pym (1835) ou Une descente dans le Maelstrom (1841), pose les bases d’un genre qui dépassera le merveilleux scientifique et qui trouvera aux Etats-Unis d’Amérique son creuset idéal : la science-fiction.

            Pour autant, comme on va le voir dans une seconde partie de cette intervention, centrée sur le XXème siècle, l’apparition de la science-fiction ne fait pas disparaître le merveilleux scientifique,  que ce soit dans son acception française ou dans sa pratique anglaise. Elle le dépasse, elle ne l’efface pas, mais l’absorbe plutôt, le métabolise, comme elle le fait, parallèlement,  de l’utopie, de la contre-utopie, du conte philosophique, de la satire, ou encore de l’anticipation. Sous l’étiquette de la science-fiction, les véritables « ingénieurs » du merveilleux scientifiques, le pont bâti, de part et d’autre de l’océan, vont s’attacher à faire tourner la machine du merveilleux scientifique de plus en plus vite, de plus en plus loin, sous l’étiquette vertigineuse de la science-fiction.

II – L’ÂGE FABULEUX DES INGENIEURS

DE LA SCIENCE-FICTION MONDIALE

(1927 – 2008)

Résumé :  l’impulsion, en aval de la première guerre mondiale, qui a laissé exangue et paralysé par l’irruption d’une nouvelle forme de guerre qui n’a rien de commun avec celles du passé, en raison des possibilités offertes par la technique , vient des Etats-Unis, qui à l’aube des années trente, fait le choix délibéré de l’évasion par la fiction, multipliant les « weird tales », dans des magazines bons marchés, dont l’archétype est livré par Hugo Gernsback, réduisant toutefois la part scientifique du merveilleux à un simple vernis, même si la tendance sera corrigée, dans un second temps, par un directeur ambitieux et un auteur talentueux : John W. Campbell et Robert A. Heinlein (A) ; puis, la France, alors même qu’elle s’est délibérément coupée de son histoire littéraire en matière de récits scientifiques, jusqu’à se convaincre, en aval de la seconde guerre mondiale, que la science-fiction est une expression culturelle américaine, parvient, grâce à quelques auteurs très isolés à redécouvrir les chemins de son merveilleux scientifique. René Barjavel, puis Michel Jeury, sont l’incarnation de ce hiatus, puis de son dépassement (B) ; enfin, c’est à « l’île parfaite » de prendre sa revanche, tardive mais incontestable, puisqu’au cœur dur de la science-fiction, le maître incontesté du merveilleux scientifique à l’anglaise, le seul capable d’enchanter l’objet technique à la façon d’un Kipling, tout en faisant preuve d’une puissance spéculative égalant celle d’un Wells, rigoureusement inféodée à la vraisemblance scientifique, marque le siècle, sinon, en termes d’espace, l’incarne et fait école : il s’agit d’Arthur C. Clarke (C). 

A/ L’expérience américaine et sa portée

a) Hugo Gernsback et les « pulpsters » : plus d’épopée que de science !

            Le merveilleux scientifique, aux Etats-Unis, en 1909, est surtout, pour être plus précis, un émerveillement, plutôt d’essence populaire, sur les possibilités presqu’infinies de la Machine et sur la manière dont celle-ci peut étendre la civilisation américaine, qui se sait destinée, depuis le combat des colonies pour leur indépendance et les déclarations des droits de l’Homme, ainsi que la conquête de l’Ouest, à repousser perpétuellement toutes les frontières, celles de l’espace comme celle de la démocratie. Il doit donc être clairement distingué du réalisme magique, porté par la culture latino-américaine, notamment incarné par des auteurs et des peintres tels que Gabriel Garcia Marquez ou Jorge Luis Borgès, qui porte plutôt sur l’introduction d’éléments merveilleux dans un récit réaliste contemporain. Le merveilleux scientifique, naît d’abord sous la forme d’une revue de vulgarisation scientifique, intitulée Modern Electrics, dirigée par Hugo Gernsback (1884-1967), un émigré luxembourgeois. Celui-ci va avoir l’intuition que les merveilles de la science peuvent donner lieu, au-delà d’articles purement techniques et explicatifs, à des récits épiques glorifiant les avancées technologiques du nouveau siècle tout en extrapolant les futuribles qu’elles promettent. Pour diffuser ces « scientifictions », Gernsback fonde une autre revue, un fanzine, qui leur serait entièrement dédié, et dans laquelle il publierait ses propres textes d’extrapolation : c’est Amazing Stories, dont le premier numéro paraît en avril 1926. L’ère des « pulps » de science-fiction vient de commencer ! Ces revues bon marché qui vont rapidement se multiplier, imprimées sur de papier de mauvaise qualité, de la « pulpe » de bois, qui jaunit et s’altère vite, sont affublées de couvertures criardes, voire racoleuses (fusées étincelantes, rayons lasers, planètes en collision, robots agressifs, extraterrestres bulboïdes, et moultes héroïnes à demi-dénudées aux formes généreuses). Les récits mettant en scène des vaisseaux traversant toute la galaxie en un souffle, disputant des mondes à des empires maléfiques à grands coups de lasers, grâce à des héros invincibles accompagnés de robots de métal infrangible, vont s’y multiplier, au mépris de toute crédibilité scientifique. Le choix du terme de « space-opera » pour les désigner est rélévateur : construit à partir de celui de « soap-opera » désignant les séries populaires radiophoniques, puis télévisuelles, bâties selon une intrigue à rebondissements, toujours outrés, extrêmement mélodramatiques, et jouant systématiquement sur la surenchère en constitue l’aveu. Beaucoup d’épopée et peu de science. Il n’en reste que les mots, subvertis, et les images, gauchies par l’imagination. Pourtant, de loin en loin, des éclats de culture scientifique surnagent. Ainsi, l’un des auteurs les plus en vogue, Edward Elmer Smith, est surnommé « Doc » en raison de son doctorat de chimie de l’université de Columbia. Dans son roman Triplanétaire (1934), soixante ans avant la découverte de la première exoplanète, « Doc » Smith se paye le luxe d’expliquer « scientifiquement » l’existence d’une pluralité de systèmes solaires : « Voici environ deux milliards d’années, deux galaxies entrèrent en collision, ou plutôt passèrent l’une à travers l’autre. Peu importent cent ou deux cent millions d’années, puisque ce fut à peine le temps nécessaire au déroulement de ce phénomène d’interpénétration. À peu près au même moment, toujours avec la même marge d’erreur (…) la majorité des soleils des deux galaxies se trouva dotée de planètes ». Il est amusant de constater la manière dont Smith affecte de partager les scrupules des scientifiques, quant à la justesse de la datation, tout en parvenant à livrer un discours cohérent. On est toutefois loin, en dépit de l’indéniable force narrative du récit, de toute forme de méthode scientifique. Les choses vont changer avec la deuxième génération d’auteurs et de pulps.  

b) Le général Heinlein : pour une pédagogie du futur et de l’espace !

 

            Au début des années quarante, John W. Campbell, fonde la revue Astounding, avec la conviction que la science-fiction est capable de mieux utiliser la science que simplement en se contentant d’extrapoler les avancées techniques qui en découlent, qu’elle peut prendre la méthode scientifique à bras-le-corps, et, sinon inventer de nouvelles sciences, défricher, par la spéculation rationnelle, les véritables champs de l’avenir. Il découvre alors, parmi d’autres auteurs qu’il cherche à constituer en école du genre, une pépite d’or.  Robert A. Heinlein, ancien élève de l’Académie navale d’Annapolis, réformé de la Marine pour raisons de santé, ancien prospecteur, et politicien visionnaire mais déçu, engagé dans les années trente dans l’unique mouvement socialiste de toute l’histoire américaine, fondé par le muckraker Upton Sinclair. Devenu auteur de science-fiction par nécessité financière, Heinlein va le rester, en aval de la seconde guerre mondiale, par conviction : il est convaincu  que la science-fiction peut diffuser, grâce à l’évasion rationnelle qu’elle propose,  diffuser la culture scientifique dans la jeunesse américaine et la préparer à prendre en main son futur. A la suite d’une période où Heinlein livre, avec l’aide de son ami éditeur, une magistrale Histoire du Futur, qui chemine entre réalisme et utopie et fait, littéralement office de propédeutique de l’âge de l’espace de l’humanité, où, naturellement, les patriotes américains devront être en première ligne sur la frontière, l’auteur se lance dans une série de « juvenile », de romans pour la jeunesse aux éditions Scribner. Tous les titres jouent la carte d’une merveilleux scientifique qui se situe à l’opposé de celui de la première génération des « pulps », et renoue largement avec un enchantement de l’objet technique à la Kipling, sans renoncer à la spéculation, tout en utilisant, sinon en les créant, les outils narratifs dont il a besoin. Ainsi, pour n’en citer qu’un, Citoyen de la Galaxie (1957), qui se révèle être un hommage, transparent mais non servile, au Kim de Rudyard Kipling, et qui retrace l’épopée d’un jeune garçon un peu naïf, mais doté d’un solide sens pratique et d’un esprit méthodique et curieux, à travers la Galaxie, jusqu’à devenir la clef de l’avenir de plusieurs civilisations, après avoir pris, courageusement, sa vie en mains. Le message de Heinlein est plus subtil encore qu’il n’y paraît. Son but est préparer les jeunes à l’âge de la science, mais aussi à les accompagner dans l’acceptation des difficiles réalités de la vie. Littéralement, il se lance, avec la science comme baguette, dans la pédagogie du réel et, au final, réduit le merveilleux, à la capacité extraordinaire de l’Homme correctement éduqué, à triompher de toute forme d’adversité ou de toute difficulté technique. Faire des jeunes américains des citoyens de la galaxie, tel était son but et il y réussit. Nombreux seront les scientifiques de la NASA, qui confesseront, plus tard, que leur vocation professionnelle est née de ce travail « pédagogique » mené en grande partie par Heinlein. Et, bien que l’auteur de Space Cadet (la Patrouille de l’espace, 1948) n’y fut jamais partie prenante, la série éponyme, Tom Corbett, Space Cadet, diffusée de 1950 à 1955 sur trois chaines de télévision, joua le rôle de relai de cette nouvelle « mythologie » américaine, arc-boutée, comme le souhaitait Heinlein, sur une plausibilité scientifique de bon aloi.

c) Le rêve quantique, ou comment éviter la disqualification

            Vers la fin de sa carrière, Robert Heinlein s’est laissé séduire par une autre forme de merveilleux scientifiique, peut-être plus proche de l’approche esthétique et stylistique des auteurs latino-américains de réalisme magique : inféoder, adapter son écriture elle-même à la nature profonde de la connaissance scientifique, de manière à ce que l’intrigue ne soit plus qu’un prétexte à une démonstration logique. Et, dans les années soixante-dix, c’est à la physique quantique qu’il s’attaque, choisissant d’en faire, l’ambition est folle, non point le sujet de ses romans, mais la ligne directrice, l’ossature même de leur production : il est l’un des premiers à oser une véritable transposition narrative du principe d’incertitude d’Heisenberg ou de la parabole du chat de Schrödinger, ne se contentant pas de l’image, mais cherchant à rendre, par les mots, la quintesse scientifique des théories susnommées, non sans avoir opéré un retour préalable vers les études de physique quantique. Le texte le plus révélateur en la matière est The Number of the Beast (1982), totalement incompris par la critique, dans lequel Heinlein y joue sur la multiplicité des « observables romanesques », y invente la particule élémentaire du récit, le « ficton », en débattant, scientifiquement, de la notion même de « réalité consensuelle ». Fascinante et vertigineuse, riche d’une multitude d’interprétations qui dépassent, de loin, le réalisme des premiers textes, mise en abyme du travail créatif de l’écrivain lui-même, c’est le texte quantique par excellence, préfigurant peut-être une forme de littérature non-linéaire qui émergera peut-être grâce aux moyens qu’offre aujourd’hui la pratique de l’hypertextualité et du réseau global.

            La France, de son côté, semble faire pâle figure, tant elle apparaît engoncée dans ses clivage culturels traditionnels, entre lettres et sciences, aux mains d’une élite intellectuelle qui ne comprend pas le monde qui lui saute au visage au sortir d’Hiroshima, et qui s’avère  peu amène envers la science-fiction, qu’elle considère comme un dommage collatéral de la Libération de Paris, comme une « contamination » de la culture populaire américaine, au même titre que le jean’s, le milk-shake ou le chewing-gum. Pourtant, le journaliste et écrivain René Barjavel y incarne, par son talent narratif, et la capacité de son écriture fluide à toucher à l’universel sans se détourner du merveilleux scientifique, un chemin, certes étroit et christique, de réconciliation entre deux extrêmes français : le refus de la science par l’élite, et le mépris de la littérature par le peuple. A contretemps de son époque, il reste isolé, coupé des racines du roman scientifique à la française, à l’exception de la figure de Jules Verne qui « a illuminé (son) enfance »[11], et largement déconsidéré par leurs « fruits » plus tardifs, lorsqu’ils se reconnaîtront, à l’exception, peut-être, de Michel Jeury, qui lui a rendu hommage, en de maintes occasions.

 

B/ Le contretemps du merveilleux à la française : René Barjavel

a) Seul contre tous : René Barjavel, entre merveilleux et science-fiction

 

            René Barjavel (1911-1985) commence à écrire des textes relevant du merveilleux scientifique à la française, avant que la science-fiction américaine n’ait traversé l’atlantique et, peut-être sans le vouloir, dans la droite ligne pessimiste de ses prédécesseurs séculaires. Ravage (1942) conte, en effet, le désarroi d’une humanité trop habituée au confort qui naît de la technologie et qui, ayant perdu l’électricité, sa principale source d’énergie, et ne sait plus survivre sans la technologie. Le texte passera mal auprès des successeurs de Barjavel qui, longtemps, le taxeront de « pétainiste », en raison du retour à la terre qui y résonne. Conjugué à la dénonciation de la folie nucléaire que fait Barjavel dans Le diable l’emporte (1948), où l’on voit les scientifiques inventer des armes toujours plus dévastatrices, capables de transformer la terre en boule de glace sans vie, on comprend que l’auteur ait longtemps traîné une réputation de conservateur, dénonçant l’impact social négatif du progrès social ; image encore accentuée, dans l’opinion publique, lorsqu’après 1968, le journaliste adopte position jugée trop mesurée par les générations montants, au sujet de la légalisation de l’avortement. Ce serait commettre une erreur, aujourd’hui, que de résumer l’oeuvre de Barjavel à cette critique réactionnaire de la technologie.

            D’abord, parce que Barjavel fut également journaliste, et qu’en tant que tel, il s’est toujours tenu au fait des avancées scientifiques de son temps, des applications technologiques qui en découlait, et des débats éthiques qu’elles suscitaient. Et, en la matière, si l’on reprend l’ensemble de ses articles, réunis en recueil dans Les années de la Lune, il se révèle comme un défenseur du progrès scientifique, un enthousiaste de la conquête spatiale, un citoyen convaincu du rôle politique des savants. D’ailleurs, pour revenir sur l’avortement, on s’y rend compte qu’il y était favorable, comme acte scientifique de libération de la femme, tout en s’efforçant d’amener sa génération, celle des parents, à l’accepter, par des arguments progressifs[12]. Et il est de ceux qui applaudissent  l’adoption de la loi Veil sur l’I.V.G. Et, si Colomb de la Lune (1962) est un vibrant hommage au programme Apollo, il n’est guère un lancement réussi que le journaliste scientifique au Joural du Dimanche ne célèbre aussi dans un article enthousiaste[13], diffusant la mythologie de l’astronaute, aventurier de l’âge de l’espace, comme l’avait fait Robert A. Heinlein, une décennie auparavant.

            Ensuite, parce que nombre de ses romans de science-fiction, s’ils interrogent volontiers les motivations et les doutes de l’individu, son rapport à l’amour et à l’identité, expriment, à l’égal des meilleurs textes anglo-saxons, une confiance sereine dans les progrès scientifiques de l’humanité, notamment en matière de conquête spatiale. Et, de son propre aveu, René Barjavel n’a jamais rien écrit « qui ne soit scientifiquement envisageable »[14] : ainsi, son Colomb de la Lune (1962) met en scène une base spatiale où des astronautes sont placés en hibernation en attendant de quitter la Terre, et fournit de nombreux détails sur la mission lunaire qui suit ; ainsi, dans La Nuit des Temps (1968) qui reste son chef-d’œuvre, et bénéficie de son expérience de scénariste, il reprend le sujet apocalyptique de Ravage et de Le diable l’emporte, mais en lui donnant une ampleur nouvelle, puisque la « fin du monde » a déjà eu lieu, il y a 900.000 ans, au Gondwana. Mais, c’est Le grand secret (1973) qui incarne le mieux la manière barjavellienne d’enchanter la connaissance scientifique et de montrer les possibilités matérielles qui découlent de la Recherche. Il y imagine une coordination mondiale des chercheurs, réunis sur une île cachée afin d’y pratiquer des expériences sur une forme d’immortalité, induite par un virus contagieux. Le merveilleux scientifique est ici incontestable, puisque Barjavel associe le plus vieux rêve de l’humanité à une mise en scène rigoureusement rationnelle, détachée de toute forme de révélation religieuse, ou de magie au sens traditionnel du terme. Ainsi, comme le souligne Jacques Goimard, Barjavel se révèle bien plus qu’un romancier de la fin du monde par l’emballement technologique : il est le fabuliste positif de la survie par la science, définissant l’être humain et les étoiles, comme des agrégats temporaires de particules élémentaires, dont «  la vieillesse particulière peut se ressourcer dans l’enfance universelle »[15]. Rien ne se perd, et rien ne se crée, etc.

            Enfin, parce que Barjavel a su renouer avec les racines culturelles du merveilleux au sens européen du terme, en se perdant au plus profond des forêts de Brocéliande et dans les vaux hantés de brûmes du Pays de Galles, la trace primordiale d’Arthur et de Merlin, et donc, les racines du conte, l’art du récit épique. Il opère ainsi, dans L’Enchanteur (1984), au crépuscule de sa carrière et de sa vie, un retour aux sources du merveilleux, mais le fait avec la plume et les techniques narratives d’un auteur moderne, sachant cultiver l’humour et la légèreté, en particulier dans l’ambivalence du personnage de Merlin. Mais, il a su, tout autant, rendre hommage à la science-fiction d’outre-atlantique, et, seule contre tous, l’intégrer dans son système de valeurs, créant ainsi un nouveau « corpus » de référence, un socle culturel pour l’émergence d’une science-fiction d’expression française décomplexée. Comme il l’écrit, dès les années cinquante : « les petits cousins yankees de Galaad vont chercher le Graal dans les étoiles. La vraie littérature américaine, ce n’est pas Faulkner, Hemingway et leurs pareils, descendants anémiques de Zola, branche exténuée de la littérature du XIXème siècle ; c’est Bradbury, Clifford Simak, Van Vogt, Asimov, Walter Miller, Damon Knight, James Blish, et mille autres »[16]. Ce syncrétisme, tôt exprimé, mais accompli en forme de testament dans les deux derniers romans de Barjavel, La Tempête (1984) et l’Enchanteur (1984), fait de lui, au sens mécanique du terme, « l’axe de transmission » qui permet à toute une nouvelle génération d’auteurs de science-fiction français d’emprunter, à l’aube des années quatre-vingt-dix, les chemins de « l’émerveillement », de renouer avec l’épopée, les héros et les péripéties, tout en poursuivant un travail d’interrogation systématique, et souvent lucide, du réel. Après s’être égarée dans des formes prétentieuses, stériles, et largement anti-scientifiques, après avoir été littéralement dévorée par leur appareil critique, en confondant satire, pamphlet et discours politiques, au mépris de la fonction primordiale du conte, la science-fiction retrouve, en 1995, la plénitude de ses moyens. Mais, certains, entre Barjavel et Lehman, ont su maintenir le fil rouge.

 

b) Les merveilleux incertains de Michel Jeury

            C’est le cas de Michel Jeury qui appuie son merveilleux sur les sciences de l’homme, plutôt que sur celles « exactes », et en particulier la psychologie, et sa soeur si critiquée, la psychanalyse. Il faut noter que le choix du voyage intérieur, par l’entremise de drogues « chronolytiques », thème de prédilection chez Jeury, avait déjà été esquissé, en France, par Barjavel, dont l’auteur du Temps incertain (1973) se réclame, dans Colomb de la Lune, dix ans plus tôt, où il traite le voyage vers la Lune comme une plongée dans l’inconscient, et avoue comme sur le canapé du praticien : « c’est un peu moi que j’ai enfermé dans l’oeuf en voyage vers la Lune. Cet oeuf, c’est également, bien sûr, le souvenir mélancolique de l’enfance »[17], dans laquelle, on le sait depuis Freud, toute l’identité de l’adulte se structure.

C/ Le maître anglais et son héritage : Arthur C. Clarke et la magie de la science

a) le système solaire : un océan de merveilles à découvrir !

            Brillant sujet de Sa Majesté, Arthur C. Clarke a traversé tout le XXème siècle et, depuis sa demeure du Sri Lanka où il s’installe en 1956, il s’est efforcé d’en intégrer toutes les avancées scientifiques, en particulier astronomiques, dans ses romans et ses nouvelles, dont la première, La Sentinelle (1951), inspirera le plus marquant et aussi le plus discuté de tous les films du genre, 2001, l’odyssée de l’espace (1968), réalisé par Stanley Kubrick, en étroite collaboration avec l’auteur. Véritable plongée métaphysique, et révolution esthétique, le film fait aussi le choix de la plausibilité scientifique qui caractérise l’oeuvre de l’auteur (qui peut oublier la lente valse silencieuse de l’approche de la station spatiale en rotation sur elle-même pour produire une pesanteur artificielle, ou les scaphandres spatiaux si semblables à ceux qui équipent les hommes d’Apollo XI l’année suivante). Le lien, trente ans plus tard, avec Destination Moon de Pichel/Heinlein, s’impose d’évidence, à ceci près que 2001, et les romans qui le suivent, vont plus loin et parviennent, grâce à une scrupuleuse actualisation de connaissances scientifiques sur le système solaire, à marier, pour le meilleur, le réalisme scientifique et le sense-of-wonder d’un premier contact avec une intelligence extraterrestre.

            Avec Arthur C. Clarke, la pédagogie de l’espace redevient celle de la banlieue proche de la Terre, et s’accompagne d’un appel à l’unification de l’humanité comme prélude à l’accomplissement de sa destinée spatiale. Ce à quoi Clarke engage ses lecteurs, à la manière d’un Voltaire de l’âge de étoiles, c’est d’abord à cultiver leur propre jardin solaire, tous ensemble et dans la paix. Telle est la conclusion, pleine d’utopie, du deuxième roman du cycle, 2010 : odyssée deux, lorsque les hommes de l’équipage du Discovery et du Léonov, ces Russes et ces Américains (question de contexte historique) sont contraints d’oeuvrer main dans la main pour se sauver (alors même que leurs Nations glissent vers la guerre) et reçoivent ce message de la part de Dave Bowman, devenu l’Enfant des Etoiles, et de l’ordinateur Hal 9000, juste après la transformation de Jupiter en deuxième soleil : « tous ces mondes vous appartiennent, sauf Europe. N’essayez pas de vous y poser ». Le film que Peter Hyams en tire en 1845 accentue le message implicite de l’auteur, en ajoutant : « Jouissez-en ensemble. Jouissez-en en paix ».

            Disparu en 2008, Clarke nous a laissé un testament filmé des plus explicites[18] : « J’ai accompli quatre-vingt-dix orbites autour du soleil (…) La plupart des mes rêves sont devenus réalité (…) l’âge d’or de l’espace est juste en train de commencer (…) Dans les cinquantes prochaines années des milliers de personnages voyageront jusqu’à l’orbite terrestre, puis, sur la Lune et au-delà. Le voyage dans l’espace et le tourisme spatial deviendront un jour aussi communs que les vols en avions vers des destinations exotiques le sont aujourd’hui sur notre propre planète (…) J’espère que nous aurons appris quelque chose du siècle le plus barbare de toute l’histoire humaine : le XXème (…) J’aimerais voir dépassées nos divisions tribales, et que nous commencions à penser et à agir comme si nous étions une seule et même famille ; voilà ce que serait la vraie mondialisation. »

b) Les vertiges spatio-temporels de Stephen Baxter

 

            Dans les Vaisseaux du temps (1995), Stephen Baxter, héritier incontestable d’Arthur C. Clarke, chantre de l’enchantement scientifique de l’espace par la technique, auteur d’une uchronie précise sur la NASA et la conquête parallèle, et réussie, de la planète Mars par les Américains à la fin du XXème siècle, Voyage (1996), rend un hommage vibrant, magistral,  aux « scientific romances » de Herbert G. Wells et livre une suite émouvante à La machine à explorer le temps, qui, d’une certaine manière, atteste de réappropriation, par les auteurs anglais de science-fiction, de leur héritage séculaire, cette fois-ci sans bénéfice d’inventaire. La boucle est bouclée, de l’autre côté de la Manche, et cela explique la puissance actuelle de la science-fiction britannique, sereine et en plein possession de ses moyens narratifs et spéculatifs.

            La question reste, à l’issue de cette communication prononcée ici, devant un public ouvert : à quand la maturité française ? Serait-elle trop merveilleuse pour être réalisée ? Et qui donc sera le Merlin capable, à mi-chemin entre la magie de l’inspiration et la science de l’édition de la prophétiser ?

[1]   Robert De BORON, Merlin, GF-Flammarion, Paris, 1994, p. 110.

[2]   Jacques Goimard, Critique de la science-fiction, Presses Pocket, Paris, 2002, p. 43.

[3]   Philippe Mellot et Jean-Marie Embs, Le Guide Jules Verne, éditions de l’Amateur, Paris, 2005, p. 19.

[4]   Philippe Mellot et Jean-Marie Embs, Le Guide Jules Verne, éditions de l’Amateur, Paris, 2005, p. 49.

[5]   Philippe Mellot et Jean-Marie Embs, Le Guide Jules Verne, éditions de l’Amateur, Paris, 2005, p. 51.

[6]   Serge Lehman, Hypermondes perdus, in Chasseurs de Chimères, Omnibus, Presses de la Cité, Paris, 2006, p. IX

[7]   Philippe Mellot et Jean-Marie Embs, Le Guide Jules Verne, éditions de l’Amateur, Paris, 2005, p. 145.

[8]   Philippe Mellot et Jean-Marie Embs, Le Guide Jules Verne, éditions de l’Amateur, Paris, 2005, p. 21.

[9]   Serge Lehman, Hypermondes perdus, in Chasseurs de Chimères, Omnibus, Presses de la Cité, Paris, 2006, p. XXV.

[10] Serge Lehman, Hypermondes perdus, in Chasseurs de Chimères, Omnibus, Presses de la Cité, Paris, 2006, p. XX.

[11] Jacques Goimard, Critique de la science-fiction, Presses Pocket, Paris, 2002, p. 442.

[12] Jacques Goimard, Critique de la science-fiction, Presses Pocket, Paris, 2002, p. 414.

[13] Jacques Goimard, Critique de la science-fiction, Presses Pocket, Paris, 2002, p. 448.

[14] Jacques Goimard, Critique de la science-fiction, Presses Pocket, Paris, 2002, p. 440.

[15] Jacques Goimard, Critique de la science-fiction, Presses Pocket, Paris, 2002, p. 451.

[16] Jacques Goimard, Critique de la science-fiction, Presses Pocket, Paris, 2002, p. 445.

[17] Jacques Goimard, Critique de la science-fiction, Presses Pocket, Paris, 2002, p. 449.

[18]        http://www.youtube.com/watch?gl=FR&hl=fr&v=eLXQ7rNgWwg&NR