Voilà, je suis bien rentré à la maison, et avec le sentiment très net d’avoir vécu une rencontre plus qu’enrichissante. Je voudrais pouvoir rendre, avec des mots, ce sentiment de chaleur humaine, de gentillesse, de sens du partage, de stoïcisme souriant, des Libanais, mais c’est difficile. Entre les guerres, la corruption, la paralysie des institutions, et les inégalités sociales, tout aurait pu faire de ce pays un enfer. Et pourtant, il y a partout, dans les regards, dans les coeurs, dans l’écoute et le chant, une lumière qui ne tremblote même pas. Elle brille, elle dissipe les brouillards, dans lesquels, bien souvent, nous, Français ou occidentaux, trop gâtés sans doute, nous nous perdons en quelques heures, sans comprendre qu’il suffit d’avancer encore un peu, les bras tendus, pour passer de l’autre côté et enlacer l’avenir. Les Libanais sont des combattants de la joie, ils croient que, même si demain est incertain, le présent peut tout changer. Chrétiens, musulmans, dix-huit formes différentes de rapport à Dieu, et pourtant, tous cohabitent. Deux millions de réfugiés syriens pour une population de six millions, et le pays avance, cherche des solutions, n’abandonne pas. Il y a des coupures d’électricité quotidiennes, des erreurs, des accidents, des injustices, mais le pays avance, pour demeurer ce qu’il a toujours été en son coeur : une terre de lait, de miel et de partage. La cuisine libanaise est le reflet de cette culture : la satiété ne tient pas dans la quantité des mets, elle réside, et les Libanais l’ont parfaitement compris, dans leur diversité, l’incroyable spectre de leurs saveurs et de leurs couleurs. Tout est sur la table, et autour sont les convives, les amis et la famille. Nous avons cela aussi, bien sûr, mais, bien souvent, je trouve que nous le faisons moins spontanément, et transformons une fête en programme. Rien ne s’organise mieux au Liban qu’au tout dernier moment : il pleut, on change de destination, tout simplement. Mais, tout cela, je l’ai senti aussi, reste fragile, et pourrait s’envoler, emporté par les vents de l’Histoire et de la politique. Les Libanais le sentent, mais aucun, du moins celles et ceux que j’ai rencontrés, n’envisage d’abandonner, de baisser les bras, ou de cesser de sourire. J’ai beaucoup appris sur moi-même en allant à leur rencontre, et j’en rends grâce à ceux qui m’ont invité, et à l’éducation que j’ai reçue, et qui m’a permis d’être suffisamment sensible pour capter ce qui m’était généreusement offert. Comme je le supposais dans mon premier post, j’ai donné beaucoup moins que je n’ai reçu. Et je reviens grandi. Loin d’avoir assombri mon regard sur le monde, le Liban l’a nettoyé. L’utopie n’est pas, ne sera jamais de ce monde, et son inaccessibilité m’attristera toujours, mais, le cèdre du Liban, désormais, comme l’olivier de Provence, en constitue une porte d’accès, un point de passage. Il suffit, comme le faisait Laura, mon personnage dans La Cité du Soleil, d’y croire. Et sous les apparences, alors, point la vérité, qui ne relève ni du temps calendaire, ni des contingences matérielles, ni des ambitions personnelles, mais de l’espace mental que chacun de nous, de temps en temps, peut explorer : celui de l’être.