Chaque séjour à Briançonnet m’est devenu précieux comme la lecture d’une utopie, le partage d’un repas en famille ou entre amis, le sentiment d’une conférence réussie : le lieu me réconforte, me rééquilibre, et, au fond, qu’il s’agisse d’une décade ou, ici, de quatre jours, il me justifie, au sens typographique du terme : à gauche, il m’aide à faire le point sur mes émotions ; à droite, il me porte dans mes réflexions. J’y arrive en fragments, et j’en repars, reconstitué. J’exprime, ici, toute ma gratitude à deux personnes importantes : Dany et Emmanuel. La première pour avoir ouvert en grand la porte de la demeure, et accepté de partager son bureau, avec générosité ; le second pour m’avoir accompagné, et soutenu dans ce travail intellectuel, de toute son amitié, qui remonte à l’école primaire (c’est dire…) !
Ma monographie sur l’utopie est donc, sinon finie, relue et vérifiée. Ainsi, ai-je cheminé, tel un pélerin, du départ à l’arrivée, vers l’affirmation d’une étude personnelle sur l’utopie, et l’aboutissement d’une réflexion ; ainsi l’ai-je rédigée, après avoir lu et annoté, de l’hiver au printemps, porté par l’inspiration et l’amour des utopies, mais sans perdre de vue, la raison même de cette monographie. Il faudra qu’elle soit publiée, diffusée et discutée. Et pour être moins modeste que ce cher Thomas More, je dirais que, cet aboutissement, je le souhaite autant que je l’espère. En attendant, l’utopie est toujours là, il suffit de savoir regarder.
Du côté de l’écriture, les vents du temps ont soufflé, eux aussi. En vingt ans, j’ai affirmé une identité, cessé de me considérer comme un apprenti, en m’éloignant parfois des techniques que j’avais mis tant de sérieux à appliquer durant la première décennie de mon parcours. J’ai expérimenté de nouvelles formes, avec bonheur, et en belle compagnie. À l’instar de Campanella, c’est le jeu de la connaissance qui m’importe le plus. Elle tient, dans mon imaginaire, la place d’une montagne sur laquelle s’arriment des personnages et des intrigues, qui, comme des nuages, ne restent qu’un moment.
Toujours avancer, quel que soit le chemin emprunté, c’est ce que m’a appris ma mère, institutrice, qui s’est toujours battue pour ses élèves, et je lui en sais gré. Écrire ou enseigner, c’est, au fond, laisser des bornes sur le chemin d’autrui, sans préjuger de sa destination. Et c’est un rôle qui me convient. Identifier des bornes, poser des jalons, et en trois temps, découvrir, rêver et vulgariser.
J’ai récemment appris, grâce à un cours de découverte que l’on m’a offert, que l’une des postures de la forme la plus ancestrale de Yoga est celle de l’enfant, bras étendus, replié sur soi-même, tête contre le sol, les muscles relâchés, comme si l’on s’endormait. Respirer, tout simplement. Briançonnet, ç’a été un peu ça, cette fois : une posture rassérénante, et une respiration.
Et ce matin, tout recommence. Je me dirige vers la prochaine borne que mes prédécesseurs ont laissée à mon intention, et je réalise ma chance.