Je sais peu de choses du Liban, je n’ai séjourné que quelques jours à Beyrouth, il y a deux ans, à la faveur d’un édition du Festival d’Astronomie de Fleurance au Liban, invité par Bruno Monflier, et je ne peux pas prétendre, évidemment, mesurer l’ampleur de la catastrophe sanitaire, économique et politique qui secoue ce pays, aujourd’hui. Je ne parle donc ici ni d’autorité, ni de pertinence, ni même de réflexion, mais simplement du coeur. Car j’y ai rencontré des personnes formidables, dévouées, tournées vers l’avenir, et qui, même si je ne les vois pas souvent, sont devenues des amis, très précieux. Et je pense à eux, depuis l’explosion du port, je pense à la chance qu’ils ont eue de ne pas être tués dans cet accident brutal, mais aussi à toutes les épreuves qu’ils doivent à présent traverser, se protéger, se réorganiser. Je leur écris. Je leurs dis tout mon soutien. Je prie pour eux aussi, un peu, très discrètement, comme on le fait dans un monde matérialiste qui ne croit guère à l’efficacité de la prière et la confond souvent avec le dogme (que, personnellement, je fuis comme la peste). En auteur de science-fiction, je prie aussi Ritornel, que m’a fait connaître Charles Harness, et je me dis que ce pays, le Liban, est pris dans un tourbillon, entre pluralité des cultures et des cultes (ce qui lui donne cette fragilité si belle, qui ressemble à la première écriture, qui le rend unique dans toute la zone géographique dans laquelle il se situe) et de multiples corruptions ( mais franchement, quel pays, n’en connaît pas ?) a la capacité de se relever, une fois de plus, de cette épreuve. Ce pays dans lequel certains enfants ont appris à marcher dans les souterrains pour éviter les bombardements ; ce pays où les collégiens parlent plusieurs langues, dont, parfois, un français irréprochable ; ce pays dans lequel des enseignants se battent pour faire apprendre les sciences de l’univers aux enfants quand on pourrait leur reprocher qu’il y a des choses plus urgentes ; ce pays, enfin, où il y a plus de deux millions de réfugiés et qui, pourtant, tient debout, par la force de son caractère, de ses habitants, de leur habitude à faire face. J’adresse à mes amis ce salut, si insuffisant qu’il paraît ridicule, bien sûr, mais qui, pourtant, doit être explicitement formulé, car, en la matière, et contrairement à ce que l’on croit, les choses ne vont pas toujours de soi. Et, comme dans l’Anneau de Ritornel, il faut accepter de tout recommencer, de faire encore confiance au droit, à la Justice, au valeurs cardinales. Le droit ne se résume pas à faire des procès pour établir des culpabilités, après une catastrophe. Il y aura toujours des juristes qui agiront du côté de ceux qui reconstruisent lentement un monde blessé. Il y a des obligations juridiques plus utiles que des indignations morales, et, en dernière analyse, elles sont toujours un rempart contre la Violence. Elles aident à bâtir de nouvelles sociabilités. Un accident, aussi terrible soit-il, ne devrait jamais être la cause de la mort d’une société. Les sociétés meurent généralement très vieilles, après plusieurs guerres, une longue agonie, étirée sur des décennies d’illusion, parfois des siècles, et laissent des traces rémanentes qui disent que surmonter les accidents, résister à l’effacement, est la fonction même du social. Le Liban, d’une manière ou d’un autre, se relèvera, comme le soleil. Invaincu.
