Les droits imprescriptibles de l’utopie, enfin !

En 2016, après mon habilitation à diriger les recherches, soutenue à la faculté de droit, j’ai réalisé deux choses, voire trois : 1) que des sujets que j’y avais abordé, au prisme de la Norme, le plus excitant était de loin l’utopie (je le savais déjà, mais bon…), 2) qu’on ne me permettrait jamais d’avoir un poste de professeur (je suis maître de conférence) sans avoir rédigé une monographie digne de ce nom (il faut entendre par là un ouvrage entièrement nouveau, assez ample, et non une simple synthèse critique de mes articles précédents), et 3) que j’avais vraiment besoin de me concentrer sur ce que j’aimais vraiment chercher (en cessant, au moins temporairement, de faire les recherches qu’un certain académisme de bon aloi m’imposait). Du coup, j’ai pris le taureau par les cornes et j’ai mis en oeuvre une forme de disruption dans mon parcours (le mot est à la mode). J’ai changé de laboratoire, sur la base de ce qu’on appelle dans le jargon universitaire un « exeat » recherche, qui m’a été accordé sur la base d’un projet de rédaction d’une monographie, et, pendant trois années, de 2017 à 2020, j’ai focalisé tout mon travail de chercheur sur l’utopie et ses liens avec la culture juridique (en continuant normalement mes cours). Bien sûr, j’ai régulièrement travaillé sur l’utopie, depuis mon mémoire sur La Cité du Soleil de Fra Tommaso Campanella, en 1996, mais c’était toujours, disons, en catimini, et je disposais d’un certain nombre d’articles, d’interventions, mais tout à fait disparates, sans cohésion. L’idée était, non pas de compiler ce matériau primitif, mais bien de prendre du recul, de le codifier et de lui donner un sens fort, exprimant ma conviction sur la place légitime et le rôle pédagogique de l’utopie dans la pensée juridique.

Le titre est venu presque tout de suite, parce que l’utopie m’apparaît comme l’écho littéraire d’une culture juridique, mais aussi politique, institutionnelle, sociale, et qu’elle s’inscrit à la croisée des sciences humaines et de l’imaginaire puisqu’elle décrit généralement une cité qui n’existe pas tout en exposant les moyens de sa perfection supposée. L’auteur d’utopie se positionne donc toujours par rapport au monde réel qui l’entoure et que souvent il réprouve, ce qui fait de l’utopiste un « faux » rêveur par excellence, et un vrai contempteur des dérives sociales de son quotidien. L’utopiste questionne, critique, propose. Tout comme dans la science-fiction, il est donc facile de constater que les systèmes juridiques, les normes sociales et la Justice elle-même, animent, informent et nourrissent l’utopie. Or, le droit dans l’utopie échappe à l’usure du temps, puisqu’il ne s’applique que dans l’espace de l’Imaginaire, et ignore toute perversion née de la pratique. Il est donc imprescriptible. Il ne peut pas s’éteindre, sauf à éteindre jusqu’à la flamme même l’utopie dans la pensée sociale. L’utopie, de ce point de vue, constitue le plus formidable laboratoire juridique qui soit, puisqu’elle permet d’identifier et d’exprimer une culture juridique dominante (à l’époque où le texte est écrit) tout en stimulant une réflexion critique sur cette même culture (qu’on peut réinventer ou dépasser). D’où le sous-titre que j’ai choisi, et qui trahit aussi l’influence de ma formation en anthropologie juridique : essai sur la culture juridique dans les oeuvres utopiques.

J’ai eu la chance d’avoir une formidable liberté de réflexion pour l’écriture de cette monographie. J’ai eu du temps, de l’espace, et la lente maturation de mes idées de départ a pu s’opérer au fil des lectures et de relectures. Comme à mon habitude, j’ai littéralement « tagué » des dizaines et des dizaines d’ouvrages, à grands coups de feutres, de stabilo, de stylo, et j’en passe. Ma bibliothèque utopique ressemble désormais à une forêt multicolore de post-it, ces petites étiquettes fluo qui dépassent des ouvrages compulsés. Mais, comme d’habitude, je me suis bien gardé… de tout garder ! J’ai fait preuve de parcimonie, dans les références comme dans les sources, et je n’ai jamais tenté d’être exhaustif, et encore moins érudit. Appliquant à la monographie les conseils que je donnais à mes étudiants en cours de rhétorique, j’ai misé sur la dynamique de la réflexion, le choix des arguments et assumé complètement la subjectivité de mon approche. Certaines de mes conclusions flirtent allègrement avec la marginalité lorsque je classe, par exemple, telle utopie dans telle catégorie qui n’est pas généralement celle qu’on lui attribue. J’assume tout, parce que, voyez-vous, cette monographie sur l’utopie est à mon parcours de chercheur ce que Tancrède est à mon parcours d’auteur : un texte éminemment personnel, informé par une longue recherche, mais qui à aucun moment n’a été guidé par quelque forme de conformisme que ce soit. À bientôt 50 ans, et après 25 années d’enseignement, j’ai conquis le droit d’exprimer ma différence et de la défendre comme pertinente.

J’espère que vous aimerez ce texte, mais avant de vous précipiter pour le pré-commander en suivant la procédure que je vous donne ci-dessous, il faut encore que vous sachiez que : 1) sur le plan de la lisibilité, qui est un critère important, je dois admettre qu’il est aussi dynamique (je sais tirer les leçons de l’expérience narrative) qu’hypotaxique (entendez par là, qu’il contient un nombre indécent de phrases subordonnées, et je préfère être clair sur ce point) ; 2) sur le plan de l’intérêt, vous y trouverez des choses nouvelles sur les utopies convoquées, mais il serait préférable d’avoir lu le corpus, même si, bien sûr, j’ai pris soin pour chacune des utopies, des eunomies, des dystopies et des uchronies que j’étudie, d’en rappeler le contexte, et, brièvement, l’histoire ; 3) même si je convoque Wells et Zamiatine, vous ne trouverez dans cette monographie que peu de lignes consacrées à des romans de science-fiction. Pour une raison simple : mon objet est l’utopie avant tout. Et puis, j’envisage de mener la même recherche sur la culture juridique dans la science-fiction dans les années qui viennent. Dont acte.

Si vous souhaitez commander l’ouvrage, qui ne paraîtra qu’au printemps, vous pouvez adresser un message aux Presses Universitaires, à Madame Marie-Christine Tebar (marie-christine.tebar@univ-amu.fr), qui vous enverra un formulaire de commande. Le tirage, est-il utile de le préciser, est modeste, mais, gageons qu’il y aura suffisamment de volumes pour les plus motivé(e)s.

Utopiquement vôtre,

Ugo