Il y a vingt ans, j’écrivais l’un de mes premiers longs textes de science-fiction, centré sur l’exploration spatiale et la conquête de Mars. Il n’avait pas de vocation professionnelle. Il était écrit pour un ami très cher, M. Raphaël Tabarly. Je lui ai offert pour son anniversaire, je m’en souviens comme si c’était hier, dans une version imprimée, avec une couverture en couleurs (à l’époque, ce n’était pas si évident que ça, et, surtout, on n’avait pas encore un accès aussi facile aux fichiers numériques et autres PDF). Dans quelques jours, Raphaël fêtera son anniversaire, et j’ajoute ce texte ici, sur mon modeste site, pour lui. Pour lui dire, une fois encore, toute mon amitié. Le temps passe, les défis se succèdent, les enfants grandissent, mais sous le ciel étoilé, Raphaël, je crois que nous sommes restés les mêmes qu’il y a vingt ans. Avec les mêmes rêves. Et les mots qui suivent ne sont obsolètes qu’au regard de critères très discutables, finalement. L’essentiel, l’émotion et la sincérité qu’ils portent, reste inaltéré. Bon anniversaire, mon ami !
Retrouver Kâ
A Raphaël, pour son anniversaire.
Prologue.
Il existe un point commun entre les clichés de la surface martienne que réalisa l’orbiter de la sonde d’exploration américaine Viking 1, le 25 juillet 1976, et ceux qu’une autre sonde spatiale, lancée en 1992 par la N.A.S.A vers la planète rouge, offrit aux scientifiques : il s’agit d’une formation géologique de plusieurs kilomètres de long, qui, par l’intermédiaire de jeux d’ombre et de lumière, sculptant des hauts-plateaux, apparut sur les scopes d’observation comme un visage.
Ce site martien particulier fut surnommé « Cydonia Face ».
Après maintes vérifications et traitements infographiques de l’image enregistrée, il apparut que l’impression d’un « visage » scuplté sur le sol rouge de Mars, persistait. La rationalité scientifique obligea toutefois les éminents chercheurs de l’Agence spatiale américaine à conclure à un simple « caprice géologique » dû à l’érosion…
Cependant, il convient de noter quelques points importants.
En premier lieu, tout près de Cydonia Face, dans l’immense plaine d’Elysium, furent également découvertes trois formations rocheuses, qui elles aussi évoquaient étrangement l’oeuvre d’un sculpteur céleste.
Elles ressemblaient à s’y méprendre à trois pyramides.
Là encore, cette très singulière forme de relief fut attribuée à des causes strictement naturelles, notamment les vents violents parcourant de manière incessante la surface de Mars.
En second lieu, il faut évoquer les événements survenus dans le cadre du programme spatial américain « Mars Observer ». En août 1993, fut lancée une nouvelle sonde d’exploration, pour obtenir des relevés topographiques plus précis du sol martien. A son arrivée au-dessus de la planète rouge, la sonde tomba en panne et faillit complètement à sa mission : aucun renseignement, aucune image complémentaires ne purent être fournis.
Il fut finalement décidé à la N.A.S.A, pour des raisons essentiellement budgétaires, que la surface de Mars pourrait attendre encore un peu. De ce fait, la question, anecdotique pour certains, primordiale pour d’autres, de la nature exacte du « visage » de Cydonia Face, tomba dans l’oubli et dans l’indifférence générale.
De plus, la sonde russe qui devait, dans le cadre de la mission « Mars 1996 » passer en revue la planète rouge, la photographier de l’équateur aux pôles, n’atteindra, elle non plus, jamais sa cible : elle s’est abîmée, en décembre 1996, dans l’océan Pacifique, en raison d’un dysfonctionnement du quatrième étage de son lanceur Proton.
La presse spécialisée, mi-figue mi-raisin, se surprit à parler, à ce propos, de malédiction. Mars, semblait inaccessible et, depuis la sonde Viking, aucune autre sonde n’a pu prendre des clichés valables du sol martien, jusqu’à aujourd’hui.
L’exploration de Mars vient d’être relancée par la N.A.S.A. La raison principale en est probablement « Alan Hills 84001 ». Sous ce nom étrange se cache un simple météore tombé du ciel il y a 13 000 ans, dans l’Antarctique. Ce caillou vient de Mars et fut arraché à sa planète d’origine par une collision violente avec un astéroïde. Les analyses ont montré qu’il contient des bactéries filamenteuses fossilisées. Pour la première fois, l’hypothèse d’une vie passée sur la planète rouge semble se confirmer. On sait déjà que jadis, il y a plus de trois milliards d’années, Mars ressemblaient beaucoup à la Terre, et possédait une atmosphère riche en gaz carbonique et de vastes océans. Mais tout cela c’est évanoui. La vie a-t-elle vraiment existé, a-t-elle eu le temps de se développer à la surface et sous les eaux de l’infortunée soeur jumelle de la Terre ? Et, si oui, peut-on en trouver des preuves aujourd’hui, et penser que peut-être, une infime partie de la biosphère martienne subsiste encore, à l’État larvaire, quelque part au fond des gouffres rouges ?
Ces questions sont devenus les moteurs des nouveaux programmes de la N.A.S.A. La logique des l’Agence Spatiale américaine a changé. Désormais, le mot d’ordre officiel tient en trois propositions : « Faster, Cheaper, Better » (plus vite, moins cher et mieux). Les missions de 1997 et 1998 répondent d’ores-et-déjà à cette logique.
Pour la première fois depuis plus de vingt ans, une sonde spatiale a atteint le sol martien. Lancée le 2 décembre 1996, par une fusée Delta 2, la sonde américaine Mars Pathfinder s’est posée le 4 juillet 1997, jour anniversaire de la déclaration d’indépendance américaine, au coeur de d’ Ares Vallis, à 19°5 à l’est des volcans de Tharsis. C’est une région de cailloux concassés par l’érosion et disséminés au milieu d’une vaste plaine proche de l’équateur de la planète rouge, ce qui permet aux batteries solaires de la sonde de bénéficier d’un niveau d’ensoleillement optimal. Ares Vallis est supposé être l’ancien Delta d’un fleuve géant de Mars, une sorte de Nil d’outre-terre.
Une fois la station technique déployée, et après avoir pris les premières photos de la surface que le monde entier a pu admirer par l’intermédiaire des réseaux d‘information, la sonde a libéré le tout premier véhicule martien robotisé, baptisé « Sojourner ». Ce petit véhicule de 11,5 kg et de 63 cm de long, est chargé d’explorer une zone de 500 m de diamètre autour de la sonde-mère pendant plusieurs jours, de faire des relevés topographiques, en évitant et répertoriant les obstacles majeurs, c’est-à-dire les plus gros rochers, et vérifier si l’eau a coulé en ce lieu..
La mission est orchestrée depuis la Terre par le «Jet Propulsion Laboratory » sous le nom de « Nasa Discovery Mission » et, depuis le début, c’est une réussite éclatante, qui semble relancer définitivement les programmes d’exploration spatiale dans le système solaire en général et sur Mars, en particulier : les données brutes fournies par Sojourner confirment, après analyse que l’eau d’un immense torrent, avec ses tourbillons, a tout submergé jadis. Les roches inclinées en portent la trace.
Cette victoire, après tant d’échecs répétés a joué avant tout un rôle symbolique : l’humanité ne doit pas renoncer à l’exploration du système solaire. Des connaissances sans nombre et des ressources incalculables attendent l’homme dans son environnement solaire.
Au demeurant, il est vrai que la mission Pathfinder, n’est sur le plan strictement scientifique, qu’une mission de petite envergure, dont les découvertes n’ont, en soi, rien d’exceptionnel, ni de révolutionnaire. Il s’agissait surtout de confirmer les hypothèses des exobiologistes quant à l’existence de l’eau et, techniquement, de démontrer la viabilité de ce type d’exploration planétaire.
De même, cette mission ponctuelle n’a aucun lien, ni de près, ni de loin, avec le « visage » découvert sur le site d’Elysium, qui demeure complètement oublié, car indigne d’intérêt.
Les missions « Mars Global Surveyor » en 1998, qui suit de près « Mars Pathfinder », et l’importante « Mars Sample Return » qui en 2005, devra rapporter des échantillons de sol martien, ne s’intéresseront aucunement à cette histoire peu crédible de formation rocheuse en forme de visage, près du site d’Elysium. Le nouveau programme de la N.A.S.A ne s’occupe que d’hypothèses « sérieuses » et la recherche de la vie n’a absolument rien à gagner dans la vérification de ce site déjà exploré.
C’est du moins ce que croit le grand public, et la plus grande majorité de la communauté scientifique internationale.
Mais, la vérité est toute autre…
- Par-delà les « Twin Peaks »…
Dans la salle principale d’observation et de contrôle de la mission Mars Pathfinder, égérie actuelle de la N.A.S.A, penché sur un l’écran d’un terminal, le professeur Raphaël Alocca, feignait la calme assurance de ceux qui ont contribué à une réussite scientifique de premier plan au sein de la plus célèbre des agences spatiales.
Astrophysicien de formation, le professeur Raphaël Alocca était un personnage éclectique et passionné. Derrière ses petites lunettes rondes et sa quarantaine un peu bedonnante, ses yeux bleus comme la Terre, relevaient une intelligence analytique et synthétique, dont l’acuité était au service de la recherche spatiale. Ces dernières années le professeur, sentant venir le renouveau de l’exploration planétaire, s’était spécialisé dans l’exoplanétologie et son sujet d’étude préféré avait depuis toujours été la planète rouge, Mars.
Raphaël Alocca avait également à son actif une licence de lettres anciennes et une maîtrise en histoire de l’Antiquité égyptienne, assyro-babylonnienne, et gréco-romaine. On faisait souvent appel à lui, à la N.A.S.A, pour nommer les nouveaux corps stellaires découverts par les astronomes, ou comme dans le cadre de la présente mission, tel ou tel rocher d’importance suffisante pour être répertorié dans les archives de l’Agence.
Bref, le professeur, astrophysicien, lettré et même ingénieur en thermique des sondes, était l’une des figures les plus emblématiques du « Jet Propulsion Laboratory ». Pourtant, sa discrétion et sa réserve, en toutes circonstances, étaient légendaires. Il était là, mais jamais personne ne le remarquait.
En cet instant précis, sous un calme apparent, il bouillonnait intérieurement d’impatience, tout en admirant les images de paysages martiens envoyées p ar « Sojourner », via la sonde « Mars Pathfinder ». Il était dans cet état depuis qu’il savait qu’il ne restait que quelques jours avant l’arrêt définitif du robot, pour cause de manque d’énergie. En effet, sur Mars, le rayonnement solaire était plus bien faible que sur Terre et avait déjà commencé à diminuer compte-tenu de la révolution de la planète rouge autour de l’astre nourricier. Quant aux batteries au lithium du petit robot, elles n’avaient qu’une autonomie limitée. A présent, chaque minute d’exploration, chaque seconde de réflexion était cruciale, car comptée. Et le professeur Raphaël Alocca voulait faire la meilleure récolte de données possible. Il se sentait comme le moissonneur du tableau de Van Gogh qui, au coeur d’un champs d’or, s’active alors que le soleil décline.
Ah, si seulement la N.A.S.A. disposait de budgets plus importants !
Bien qu’il comprenne les urgences « terrestres » de son pays, beaucoup plus prégnantes pour la stabilité de la société mondiale, que quelques images du sol martien, le professeur rêvait souvent avec nostalgie de l’époque où l’attrait du monde pour la conquête spatiale était bien réel. Il se rappelait encore, bien qu’il fut tout jeune à cette époque, l’engouement pour la conquête de l’espace qui avait suivi les différentes interventions de J.F. Kennedy en la matière. Même si le contexte international de l’époque, en raison de la guerre froide, avait été très favorable à l’émulation entre l’URSS et les USA, les visites du président avait joué le rôle d’un cristalliseur et les crédits avaient coulé à flots.
Ainsi, la recherche spatiale et la N.A.S.A avaient offert la Lune au monde entier, et sa vocation définitive au professeur.
Raphaël Alocca espérait vainement en une telle visite de l’actuel président au « Jet Propulsion Laboratory ». Les répercutions médiatiques de celle-ci augmenteraient l’intérêt du public pour les réussites scientifiques de la N.A.S.A. et permettraientt, par le jeu normal de la politique, une augmentation sensible des crédits alloués à la recherche spatiale, et donc un développement accéléré des innombrables projets qui somnolent dans les couloirs de l’Agence spatiale américaine, en attendant de pouvoir se réaliser.
Il regarda à nouveau, par-dessus l’épaule de l’opérateur assis en face de l’écran, les images arrivant en flux quasi-ininterrompu de la planète Mars : on y voyait le petit robot à six roues contourner un rocher trop haut pour être franchi de front. Chaque cliché, en noir et blanc, semblait destiné à devenir l’un des feuillets d’un dessin animé classique. Le fond de l’image, toujours immobile était remarquable surtout par la présence de deux petites collines jumelles, toutes rouges, baptisées par un chercheur téléphage et Lynchophile, « Twin Peaks ».
Ces deux formations rocheuses donnaient toute sa réalité à l’ensemble du panorama, en indiquant, dans le même temps, combien l’horizon martien était plus proche que celui de la Terre. En poussant un peu, il eût été aisément possible de faire franchir ces frontières naturelles d’ « Ares Vallis » à Sojourner. Mais, tel n’était pas le programme prévu pour aujourd’hui, ni même pour les jours qui viennent. et, même si la moisson de données brutes (qui occuperaient les scientifiques pendant de longs mois) était déjà très fructueuse, Raphaël Alocca trouvait cela frustrant : franchir des millions de kilomètres dans le vide interplanétaire, et renoncer à explorer l’au-delà d’une colline. C’était comme si, Christophe Colomb, à peine débarqué, avait renoncé à s’enfoncer dans les terres vierges et mystérieuses de la future Amérique, pour s’en aller compter les galets et les coquillages de la plage.
Enfin, chaque chose en son temps, tenta-t-il de se convaincre. La prochaine fois, on ira plus loin. Mais, quand ? Quand, dans les programmes extrêmement courus de la N.A.S.A, prévoira-t-on l’envoi d’une nouveau robot martien, plus grand, plus performant, moins éphémère que Sojourner ? Le prochain ordre du jour, il le savait parfaitement, était centré sur la sonde « Mars Global Surveyor » qui devrait, en 687 jours, opérer plusieurs révolutions autour de Mars, pour en compléter, en la précisant, la topographie générale de la planète rouge. Et le prochain « amarsissage » n’était prévu que pour 2005 ! La sonde « Mars Sample Return » devrait se poser sur un site prédéterminé et ramener quelques échantillons de sol martien, mais sans explorer les alentours. A quand, se disait le professeur, la mission qui ferait et l’une et l’autre de ces deux importantes facettes de l’exploration extraplanétaire ?
Le bipper passé à la ceinture du professeur, se mit à sonner.
Résigné par avance, il le consulta : l’appel provenait du Bureau du Directeur de Projet.
Raphaël Alocca souffla : il détestait les réunions administratives qui ne faisaient que ralentir les recherches et phagocyter son temps de travail. Cependant, nul au « Jet Propulsion Laboratory » ne pouvait décemment s’y soustraire. Et surtout lui !
Il décida de se rendre au sacro-saint centre du « Nasa Discovery Mission », plutôt que de joindre le Directeur par la ligne intérieure. Il se doutait que sa présence en personne était requise. Il abandonna l’opérateur à son travail de vérification et de classification et grimpa rapidement les escaliers qui le conduisaient à ce que l’on surnommait ironiquement, la « Tour d’Ivoire ». Il remarqua en s’approchant de la porte, que tous les stores d’aluminium peint avaient été baissés. Ce n’était pas l’habitude des lieux. Ici, on en cachait rien, chaque donnée pouvant déboucher sur une nouvelle découverte ou éviter une catastrophe. La synergie des personnalités et le « brainstorming » permanents étaient les maitres-mots de la mission Mars Pathfinder.
Avec une légère appréhension, Raphaël Alocca frappa à la porte du Bureau et sans attendre de réponse, comme cela était la coutume, entra.
- Kâ
Pendant un instant, il crut avoir une hallucination. Il secoua la tête lentement, puis dut convenir, en bon scientifique qu’il était, de la réalité de ce qu’il avait sous les yeux : assis derrière le bureau le plus éminent du Centre de recherches spatiales de la N.A.S.A, lui souriait le président des États-Unis en personne. Et autant qu’il puisse en juger, il était seul : pas de directeur, pas de journalistes, pas de gardes du corps, personne d’autre que Bill Clinton, simplement vêtu d’une chemise blanche et d’un pantalon souple gris. Assis là, tranquillement, il donnait vraiment l’impression de l’américain moyen que ses détracteurs lui avaient reproché d’être. Effectivement, il n’avait ni le charisme de Kennedy, ni la posture hiératique d’Eisenhower, et encore moins l’air troublé et concentré de Nixon. Le professeur Alocca ne méprisait pas la politique parce qu’elle était l’un des pourvoyeurs de crédits les plus importants pour la recherche. Cependant, il se considérait comme le pire électeur du pays. Jamais ses votes n’avaient été conduits par une connaissance sérieuse des tenants et des aboutissants de la politique intérieure de son pays.
Que faisait le président dans cette pièce ? Sa place était dans la salle principale, au milieu de journalistes qui guetteraient l’instant où il prononcerait quelques mots, après avoir examiné les images de Mars, pour focaliser l’opinion publique américaine en faveur de la continuation du programme spatial.
Avant qu’il ait pu formuler sa question, le président prit la parole.
Dès lors, il n’eut plus rien d’un citoyen comme les autres.
– « Bonjour ! Vous êtes bien le Professeur Raphaël Alocca, n’est-ce-pas ? »
Le professeur hocha la tête, un peu intimidé. Le ton de la voix du président était parfaitement contrôlé et maîtrisé. L’orateur n’avait pas besoin d’une confirmation. Aussi, le professeur ne dit rien.
– « J’ai tenu à vous avoir parmi les Quinze. Vos compétences et votre intégrité sont louées par tous vos collègues. J’ai décidé de vous faire confiance, en tant que chercheur et en tant qu’homme. J’espère ne pas avoir à le regretter. », dit calmement le président.
Puis, il se leva souplement et fit signe à l’ingénieur-astrophysicien de le suivre.
C’est alors que Raphaël Alocca remarqua, pour la première fois, la porte derrière le bureau, sur la cloison opposée à la baie d’observation donnant sur l’immense salle de contrôle du « Jet Propulsion Laboratory », en constante effervescence. Raphaël était venu très régulièrement rendre compte de l’avancée de Sojourner, des problèmes qu’il rencontrait et des moyens de les résoudre, et jamais, il en était convaincu, il n’y avait eu de porte à cet endroit.
Le président ouvrit la porte surgie du néant et s’engagea dans un corridor de béton en pente douce et éclairé, à intervalles réguliers par des halogènes. Le couloir était juste assez large pour que deux hommes y cheminent côte à côte. Le président lui fit signe de se porter à sa hauteur, ce que le professeur fit, docilement. Derrière eux, la porte se referma toute seule, dans un bruit de serrure électronique. Raphaël Alocca avait la désagréable sensation de s’enfoncer au coeur d’une pyramide post-moderne de béton froid, vers une destination improbable. Il chercha le regard du président et n’y trouva que calme et intelligence. Où donc, l’homme le plus important des États-Unis et peut-être du monde, l’entraînait-il ?
Il se sentait aussi vulnérable qu’un petit robot, lancé à des millions de kilomètres de l’endroit où il a été conçu. Il se concevait à cet instant précis comme le double humain de Sojourner. Quelque obstacle énorme allait-il l’empêcher de continuer à faire ce pour quoi il avait toujours vécu ?
La pente du couloir s’accentua et celui-ci se mit à décrire, autant que le sens de l’orientation peu développé du professeur put en juger, une large spirale. Le silence, entre les mots distinctement prononcés par le président, était oppressant. Le professeur s’efforça de se concentrer sur ce que disait le Chef de l’État. Peu à peu la surprise passait et l’astrophysicien parvenait à mieux se concentrer.
– «…n’est pas prête, voyez-vous. Il semble qu’un jour Mars puisse devenir un territoire viable, économiquement et humainement. Les projets à long terme, comme vous le savez prévoient une mission d’exploration habitée et, plus tard, à l’horizon du siècle prochain, l’implantation d’une colonie humaine quasi-autonome sur Mars. Mais, avant cela, nous devons défricher le terrain, en développant nos connaissances sur l’histoire géologique et biologique de la planète et comprendre toutes les raisons du déséquilibre climatique global qui a entraîné la disparition des conditions nécessaires à l’éclosion de la vie. Nous devons connaître Mars en profondeur, l’analyser sous toutes ses facettes, afin de déterminer les meilleurs sites d’implantation, les plus sûrs, les plus riches en énergie. Mars est la soeur infortunée de la Terre. Avant de lui rendre sa juste place dans le système solaire, avant d’en faire peut-être l’avant-poste de l’humanité, nous devons comprendre les causes de sa disgrâce. Car la Terre, elle-même, n’est pas à l’abri d’une catastrophe cosmique. Météores géocroiseurs, instabilités gravitationnelles et tempêtes solaires violentes peuvent, en se conjuguant, menacer le fragile équilibre de la Vie. Connaître Mars, c’est connaître nos propres limites, nos propres faiblesses. Et puis, … », il s’arrêta quelques secondes pour bien regarder Raphaël Alocca dans les yeux, malgré la semi-pénombre, « beaucoup de mystères persistent qui doivent être élucidés à titre de préliminaire à toute investigation humaine sur Mars. Voilà pourquoi est né le projet « Kâ » auquel vous devez apporter votre contribution personnelle, tout en sachant qu’il est fort probable que vous n’en recueillerez jamais les fruits de la gloire. Il s’agit d’un projet occulte, secret. Seules quinze personnes au monde sont au courant de son existence : cinq scientifiques de haut rang, dont vous faites désormais partie, cinq personnalités politiques et cinq hommes d’affaires très influents, pour débloquer les capitaux privés nécessaires à un projet de ce type. Je ne vous livrerai pas leurs noms. Vous ne connaîtrez que ceux avec lesquels vous serez régulièrement en contact. J’en fait évidemment partie, vous l’aurez compris. Mais, nous voici arrivés… »
Ce-disant, il désigna une immense paroi de métal, qui semblait faite en titane et qui venait de transformer le couloir dantesque en impasse. Absorbé par les paroles du président et ce qu’elles impliquaient, il n’avait pas remarqué qu’ils s’en approchaient.
Aucune aspérité, ni mécanisme d’aucune sorte n’était visible sur la paroi qui reflétait les silhouettes des deux hommes en les déformant légèrement. En se regardant, le professeur se trouva l’air aussi immatériel qu’un fantôme.
Soudain, un mince rayon-laser bleu surgit de nulle part et vint frapper l’oeil gauche du président, sans que celui-ci parut en souffrir.
– « Identification rétinienne, infaillible à 99, 7 % », commenta-t-il, impassible.
L’instant d’après, ce qu’il convenait d’appeler une « porte », s’effaça en coulissant pour laisser passer les deux hommes.
Ils pénétrèrent dans le Blanc.
Ils se trouvaient sur une passerelle surplombant le plus grand laboratoire et centre d’observation spatiale que le professeur eût jamais vu. La salle du Jet Propulsion Laboratory faisait figure de salle d’entraînement à côté de celle-ci. L’oeil exercé et professionnel de l’ingénieur repéra des machines complexes et des terminaux montés en réseau. Toute une partie de la vaste pièce, semblait réservée à une activité précise, que le professeur avait du mal à identifier. Tout était d’un blanc immaculé, presque surnaturel. L’esprit rationnel du professeur émit un petit gémissement de protestation.
De écrans géants remplissaient tout un côté de la salle.
Et sur ces écrans… des images de Mars surgissaient en rythme rapide, et étaient analysées dans l’instant. Quelquechose choqua le professeur dans ces images, mais il ne parvint pas, dans un premier temps, à comprendre les raisons de son malaise.
Le président, l’entraîna à sa suite. Le scientifique sentait monter en lui une foule de questions, mais chaque fois qu’il s’apprêtait à en formuler une, un nouvel élément de la salle captivait son attention. Ainsi, il venait de se rendre compte que, humainement parlant, la salle était aussi vide que ce que techniquement, elle paraissait pleine. Seuls trois individus, en blouse blanche, s’y déplaçaient, selon un ballet parfaitement orchestré. L’un d’eux vérifiait les étranges machines occupant un angle du laboratoire, à l’aide de puissants ordinateurs portables, posé à même leur structure.
– « Tous ceux qui, à des degrés divers, ont collaboré à l’édification de tout ceci, n’ont jamais eu l’opportunité d’en comprendre l’importance. Tous les techniciens, les architectes, les gestionnaires, les informaticiens, les concepteurs n’ont obtenu qu’une vision extrêmement fragmentée de ce projet, juste ce qu’il fallait pour qu’ils mènent à bien leur tâche. Seules les quinze personnes dont je vous ai parlé, sont acteurs à part entière. Les trois que vous voyez là-bas en font bien entendu partie. Venez, je vais vous présenter. »
Ils reprirent leur marche le long de la passerelle. Lorsqu’ils arrivèrent face à un ascenseur qui devait les amener au coeur du sanctuaire technologique et scientifique, le président embrassa la salle du regard et levant les mains, en un geste de fierté, s’adressa encore à Raphaël Alocca.
– « Voici donc le Projet Kâ, Professeur Alocca. C’est le double occulte de la mission Mars Pathfinder. Je vais tout vous expliquer jusque dans les moindres détails », dit-il en l’entraînant dans l’ascenseur qui les déposa rapidement vingt mètres plus bas.
C’est alors que le professeur comprit ce qui l’avait troublé lorsqu’il avait regardé pour la première fois les écrans muraux : les images ne correspondaient pas à celles fournies par la sonde Pathfinder : aucune trace de Sojourner et, aucune trace des « Twins Peaks » auxquelles il s’était accoutumé. Cela ne pouvait signifier qu’une seule chose : les images de Mars qu’il contemplait, étaient fournies par une autre sonde qui s’était posée dans une zone différente de la planète rouge. Il ne s’agissait pas d’une vallée à proprement parler. Le relief était beaucoup plus marqué. Ca ressemblait un peu à…
- Et s’ouvrent les portes de Janus…
– « Elysium, professeur », dit Bill Clinton. « Ce que vous avez sous les yeux sont des images du site martien d’Elysium, qui avait été survolé tantôt par les sondes Viking, puis rapidement négligé. Je pense que vous avez déjà compris l’essentiel des faits. La sonde soeur de Pathfinder, que nous avons baptisé « Janus », a été lancée simultanément et par la même fusée Delta 2 dont les performances avaient été optimisées pour l’occasion. Dès le départ, tout aurait pu rater et nous aurions même perdu toute la mission Pathfinder. Un nouvel échec eût été très dur pour la N.A.S.A, mais nous avons couru le risque, tant important était l’enjeu ».
« Janus », pensa le professeur Alocca. Dans l’antiquité, il s’agissait d’un dieu romain, affilié au dieu de la Guerre, Mars. En temps de paix, les portes de son temple à Rome, étaient toujours fermées. Mais, lorsqu’ elles s’ouvraient, le dieu aux deux visages annonçait le retour des chaos de la guerre. L’ouverture de Janus, annonçait l’arrivée de Mars, comme le héraut chante la puissance et la gloire de son roi-guerrier.
Le président continuait son exposé :
– « Janus, s’est désolidarisée de Pathfinder à l’approche de Mars et s’en est allée vers Elysium Mons. Elle s’est posé aux abords de celui-ci le 7 juillet. De son sein, elle a également enfanté un module d’exploration. Mais celui-ci n’a absolument rien à voir avec Sojourner. La nature spécifique de sa mission l’imposait. A côté, Sojourner, fait figure de jouet à piles. Tenez, regardez-le, là, sur l’écran d’en bas. Nous l’avons baptisé « Prométhée ». Il s’agit d’une machine extrêmement complexe, qui se fonde sur les travaux très avancés des japonais en matière de robotique.»
Raphaël Alocca n’écoutait plus. Son regard était attiré par le robot.
Bon sang, c’était une machine humanoïde, digne d’un roman de science-fiction !!!
Le robot mesurait à peu près 1 m 70. Si son tronc semblait composé d’un seul tenant, ses bras et ses jambes laissaient apparaître un ensemble de mécanismes complexes, composés de différents matériaux et semblables à des muscles de chair. Sa tête était plutôt petite, uniquement composée de deux caméras réunies dans un même moule de métal et protégées par de fins stores orientables. Lorsqu’il se déplaçait, sa démarche était étonnamment souple, presqu’humaine. Ses bras se balançaient sans saccades et il enjambait ou franchissait très facilement n’importe quel type d’obstacle. On eût dit que ses déplacements ne répondaient à aucun programme préétabli, mais qu’il disposait de son libre-arbitre et réagissait à son environnement de façon empirique, dont plus spontanée.
– « Le squelette du robot Prométhée est composé d’un alliage de titane et de magnésium, choisi pour sa grande robustesse et sa légèreté », annonça l’un des trois hommes en blanc qui s’était avancé vers le professeur et le président.
L’homme, un japonais, petit et mince, au visage couvert de rides et aux yeux pétillants, tendit la main au professeur et dit, sans aucun accent :
– « Bienvenu dans le projet Kâ, professeur Alocca. Je m’appelle Kanéda Otomo, mais mes amis me surnomment « Le Samouraï ». Ma spécialité est la robotique, et plus particulièrement la coordination des mouvements mécaniques. Je suis très largement le concepteur de l’ossature et de l’architecture motrice de Prométhée.Tous ses mécanismes afférents au mouvement et jouant le rôle de muscles, ont été fabriqués en fibres de carbone », continua-t-il en invitant le professeur Raphaël Alocca à reporter son attention sur les écrans, « Ses articulations sont enduites d’une résine spéciale, et son tronc abrite un gyroscope perfectionné, couplé à un ordinateur gérant la stabilité de l’ensemble de la machine. Au demeurant, même s’il tombe, il a doté de réflexes lui permettant de protéger les parties les plus fragiles de son corps. Prométhée s’oriente sur le terrain, grâce à un mini-satellite qui survole la zone géographique où il se trouve et lui transmet une cartographie extrêmement précise du terrain. Ainsi, il peut… » Le professeur Alocca était trop occupé à regarder la machine en mouvement, pour suivre le discours du roboticien.
Prométhée s’accroupissait pour ramasser des échantillons, ou déplaçait un rocher, avec une telle fluidité dans le mouvement que s’en était presque terrifiant : ce que le professeur avait sous les yeux tenait plus de l’humain artificiel que de la machine. Rien dans ses gestes ne paraissait mécanique.
Le professeur avait l’impression de voir un homme déguisé en robot qui aurait oublié de jouer au robot. En effet, c’était vraiment comme si… une telle spontanéité était impossible, même avec la technologie adaptée, car elle paraissait parfois irrationnelle, ce qui est radicalement impossible de la part d’une machine, à moins que…
Le professeur se tourna vivement vers la partie de la salle occupée par des artefacts dont le rôle lui avait paru obscur en arrivant. Il s’en approcha, délaissant momentanément les images de Mars et de l’explorateur. Il s’agissait de sortes de longues caisses métalliques opaques, d’environ deux mètres de long pour un de large, couplées à des ordinateurs sur les écrans desquels défilaient des trains de chiffres de manière continue. Alors qu’il s’y intéressait, il s’aperçut que l’une de ces boites rectangulaires était ouverte. A l’intérieur, un liquide épais et sombre la remplissait presqu’entièrement. Le professeur commença à comprendre. Pourtant, il savait bien que l’on ne maîtrisait pas encore parfaitement ces techniques informatiques.
Nom de Dieu, il s’agissait de…
– « …des caissons de réalité virtuelle, oui. », lui dit le président en surgissant à ses côtés alors que le japonais s’était déjà éloigné pour reprendre son travail pressant, « Prométhée est directement piloté depuis le centre du projet Kâ, par des hommes. Vous avez sous les yeux le summum de la technologie en matière de réalité virtuelle. L’immersion est totale. Pour les cybernautes qui sont dans les caissons, rien d’autre n’existe que le robot. Prométhée est leur corps. Ils sont son esprit et son intelligence. De cette manière, l’homme est sur Mars. Les Présidents d’IBM et de Microsoft font partie des Quinze. Vous serez amenés à les rencontrer bientôt et même plus tôt que vous ne le pensez. »
– « Mais, comment cela fonctionne-t-il ? », insista l’ingénieur.
A ce moment, le deuxième des trois hommes présents dans la salle s’approcha. Un regard jeune derrière de simples lunettes, un air décontracté et débonnaire, faussement mou. Même s’il lisait peu la presse, même s’il regardait peu la télé, le professeur Raphaël Alocca reconnut cette silhouette. Il s’agissait de Bill Gates en personne.
– « Laissez-moi vous l’expliquer, professeur », dit le fondateur de la plus grande société de software au monde, « nous avons rapidement abandonné l’idée des combinaisons de réalité virtuelle, au nombre de points de toucher ou « tactels » par essence très limité. Même, les plus évoluées comportant 256 tactels faisant pression sur différents endroits du corps pour simuler un contact, un coup, ou un objet quelconque ne pouvaient suffire. D’autant plus que les casques de réalité virtuelle auxquels elles devaient être couplées ont démontré leurs limites. Un mouvement spontané ou trop saccadé et le décor ne suit pas, vous pataugez, et vous tombez. Seule une combinaison de millions de tactels, environ cent par pouce, s’approcherait suffisamment de la peau humaine. Mais, demeurerait toujours le problème de l’ouïe, de l’odorat, et moins largement d’une vue optimale dans toutes les directions et en toutes circonstances. D’où la solution de l’immersion dans un caisson. Cette solution a été rendue possible grâce à la nanotechnologie pour laquelle nous ne sommes encore qu’aux balbutiements. Le liquide qui est contenu dans les caissons de réalité virtuelle, est composé d’eau pure et de silicium, dans lequel nagent des millions de nanotactels, ou nanopuces si vous préférez, tous identiques et interconnectés grâce au milieu supraconducteur. Lorsque le cybernaute s’immerge dans cette substance, toutes les parties de son corps, se couvrent alors de nanotactels. Grâce à des lentillles optiques fabriquées par Microvision, les images transmises par le robot, se forment directement sur ses rétines, occultant toute lumière parasite. Reste alors à brancher directement son système nerveux sur l’interface de Prométhée, par l’intermédiaire d’électrodes fichés dans sa moelle épinière et à la base du crâne. Ces branchements sont sans douleur. A partir de cet instant, et pour être clair, le cerveau du cybernaute se trouve littéralement « dans » le corps de Prométhée. Son corps d’origine est sensoriellement mort. Ses fonctions vitales sont maintenues à leur niveau normal et un branchement méditech permanent permet de prévenir tout accident. »
Le regard du professeur Raphaël Alocca alla de Bill Gates au caisson, puis du caisson à son concepteur : il ne parvenait pas à y croire. Pour le monde entier, il s’agissait encore de science-fiction pure et simple. Le public ne connaîtrait ces innovations, au bas mot que dans un bonne dizaine d’années, et pourtant, elles existaient déjà, et n’avaient qu’un but : servir la recherche et protéger l’humanité.
Piloter une machine ultra-perfectionnée par l’intermédiaire d’un caisson de réalité virtuelle.
Être dans deux corps à la fois, l’un de chair sur Terre, l’un de métal et de carbone sur Mars.
A présent, le professeur comprenait mieux encore le nom du Projet : Kâ.
Raphaël Alocca savait que les anciens égyptiens nommaient kâ, le corps ou plutôt le double du corps, l’énergie physique de l’homme, et bâ, l’âme ou l’énergie spirituelle. Ils croyaient que si l’homme normal n’avait qu’un seul kâ, les dieux, eux, en possédaient des millions, ce qui les rendait immortels et leur permettait également d’être dans plusieurs temples en même temps, pour écouter les prières et recevoir les offrandes de leurs fidèles.
Sa licence de lettres et d’histoire ancienne, souffla aussi au professeur, que Kâ était l’un des très anciens nom de la planète rouge, qui brillant d’écarlate dans le ciel nocturne, avait suggéré aux hommes que sa lumière était celle d’un dieu-guerrier, colérique et impétueux.
Cependant demeurait le problème des communications et de la transmission des impulsions nerveuses. Le professeur posa la question à Gates et à Clinton à la fois. Ce fut le troisième homme, un inconnu pour l’astrophysicien, qui répondit, sans se présenter. Son accent était italien, lui semblait-il.
– « Depuis plus de dix ans, nous avons travaillé sur la fibre optique et le modes de transmission numérique de l’information. Aujourd’hui et à titre expérimental, nous utilisons des lasers très concentrés, s’échangeant entre deux satellites en orbite géostationnaire autour de Mars et de la Terre. En moyenne, compte tenu de la vitesse de la lumière, et de la distance entre Mars et la Terre, le délai de transmission varie de quelques secondes à une minute. Les ordinateurs du robot et ceux couplés au caisson, gèrent ce décalage en le diminuant au maximum. Tout au plus subsiste une désagréable impression de « temps suspendu » par moments. Nous travaillons actuellement sur les moyens d’y remédier. »
Le professeur assimilait toutes ces nouveautés un peu trop vite et son esprit s’échauffait en échafaudant des milliers d’hypothèses à la fois. Un point cependant, n’avait pas encore été éclairci.
- Cydonia Face
L’attention du professeur se reporta alors sur les écrans géants montrant les paysages martiens au sein desquels Janus et Prométhée représentaient les espoirs de la Terre.
Pourquoi avoir choisi le site d’Elysium ? Le professeur se rappelait qu’on avait déjà par le passé découvert quelquechose dans cette zone. Mais, il croyait bien se rappeler qu’il s’agissait d’une fumisterie, une sorte de soi-disant visage sculpté dans la roche…
Il posa la question, appréhendant la réponse : il n’était pas possible qu’on eût mobilisé tant de ressources technologiques et tant de secrets, uniquement pour vérifier une hypothèse farfelue du type : le visage a-t-il été sculpté par les petit hommes verts ?
Le président des États-Unis pianota sur un clavier d’ordinateur et modifia la vue de l’écran principal. A présent, il s’agissait d’un vue aérienne globale, écrasant un peu les reliefs. Sur cette carte, la sonde Janus était un petit carré vert et fixe, et le robot Prométhée était repéré par un point bleu qui avançait lentement vers une grande formation rocheuse qui ressemblait à…
Bon sang, il s’agissait incontestablement d’un visage !
Une bouche fine coupait latéralement le massif, juste en dessous de l’arête aiguë qui formait un nez. Quant aux yeux, seule l’orbite de droite était très nettement découpée en creux dans la roche, la gauche se perdait dans l’ombre. L’ensemble du visage était couronné d’un casque couvrant la place où auraient pu se trouver les oreilles. Il ressemblait à un casque militaire à la mode antique, type casque hittite ou casque de gladiateur romain.
L’ensemble mesurait environ 1,5 km dans sa plus grande dimension.
A présent, que le professeur l’avait sous les yeux, avec un tel piqué d’image dû au satellite d’appoint de Prométhée (que le professeur avait pour lui-même et très ironiquement surnommé l’ Aigle) qui survolait la zone, ce visage lui paraissait trop net pour être le seul fruit de l’érosion et des vents. Comment ceux-ci eussent-ils pu creuser si nettement une orbite formant un cercle si sombre. Peut-être fallait-il en rechercher l’origine dans l’impact d’une grosse météorite ?
Il s’agirait alors d’un hasard extraordinaire. Et quand bien même, où était passée dans ce cas, la résurgence nodale caractéristique des cratères d’impact ? Et comment expliquer cette fine balafre horizontale qui formait un canyon martien des plus insolites en raison de sa très petite taille et qui venait symboliser une bouche à la moue sérieuse ? L’ érosion due à un torrent très localisé dont la source était introuvable ?
Le professeur, homme rationnel avant tout, s’accrocha à cette idée, mais ne put la soutenir longtemps. En effet, le président, lui indiquant l’écran de droite où s’étalait un planisphère martienne marquée de plusieurs points rouges très lumineux, indiqua :
– « Nous avons trouvé 22 autres visages exactement identiques à celui-ci, professeur ! »
La conclusion s’imposait alors d’elle-même : ce que le professeur avait sous les yeux ne pouvait être le fruit que d’une volonté intelligente et délibérée. IL s’agissait d’un message destiné à l’humanité lorsqu’elle aurait atteint le niveau de connaissances et de techniques suffisant pour s’élancer à la conquête des autres planètes, lorsqu’elle entrerait dans l’ Âge des Étoiles. Les implications de cette constatation étaient innombrables : la vie existait, ou avait existé ailleurs dans l’univers, dans le système solaire lui-même, et de surcroît il s’agissait ou s’était agit de vie organisée et intelligente, qui avait probablement édifié une civilisation dans laquelle le mot « symbole » signifiait quelquechose.
La vie dans l’univers !
L’homme à la rencontre de l’Autre !
Le dernier grand défi lancé à l’humanité !
Le professeur comprenait mieux à présent. Il sourit au président, qui lui posa la main sur l’épaule, en lui disant :
– « Nous ne faisons que commencer. Nous sommes des pionniers. Le mystère est là, sous nos yeux et il attend que vous le déchiffriez. Dans quelques heures, tout au plus quelques jours, Prométhée atteindra « Cydonia Face ». Alors vous dirigerez son programme d’exploration, comme bon vous semblera. »
Le professeur Raphaël Alocca leva à nouveau les yeux sur les écrans.
Là-bas sur Mars, Prométhée contournait calmement une roche inclinée.
Sur l’horizon s’avançait le massif de Cydonia.
– « Et qu’en est-il de ces trois formations rocheuses, de proportions identiques et qui ressemblent à des… pyramides, juste au sud-est du Visage ? Se répètent-elles sur les autres sites similaires ? Pensez-vous qu’elles aient une signification précise ? », demanda Raphaël Alocca. Comme aucun des autres hommes présents dans la salle ne lui répondait, il comprit que la réponse à cette question, et à bien d’autres encore, il devrait la fournir lui-même, il était là pour ça. Il se félicita intérieurement de ses études parallèles en lettres et en histoire.
Que pouvaient représenter ces trois pyramides ?
Le président précisa qu’elles se retrouvaient auprès de chacun des 23 visages de Mars.
Le professeur se prit le menton dans le poing et, croisant les bras, réfléchit : trois pyramides, trois planètes telluriques dans le système solaire, trois atomes pour la molécule d’eau, symbole de la vie, trois lettres pour l’acide désoxyribonucléique, base de toute cellule, trois dimensions du réel… beaucoup de messages implicites pouvaient s’y retrouver.
Égypte…Mars…voyage…Vie…Trois…Prométhée…Message…Ouvrir…Janus…L’oeil…l’oeil.
– « Je pense que nous devrions commencer l’exploration de Cydonia Face par l’orbite apparente. Je veux avant tout comprendre l’étrangeté de ce cratère, si c’est bien d’un cratère qu’il s’agit. », dit le professeur.
Derrière lui, le président des États-Unis, regarda les autres personnes présentes dans la salle et pensa à toutes les autres qui composaient le Groupe. Le dernier des Quinze venait d’arriver, et à présent, l’instant de vérité n’allait plus tarder. Mars allait livrer son plus grand secret, dont l’histoire remonte à la nuit des temps. Et c’est le professeur Raphaël Alocca, un homme d’une sagesse et d’une générosité intellectuelle sans limites qui allait en être l’instrument.
Bill Clinton avait confiance. Les U.S.A avaient offert au monde un symbole de liberté et de volonté, ils allaient à présent, en pleine crise économique et sociale de cette fin de millénaire, lui apporter un nouvel espoir et une nouvelle conception de l’univers. En quelques mots, une nouvelle frontière à explorer !
Le professeur Raphaël Alocca n’osait exprimer ce qu’il ressentait, ni formuler clairement les hypothèses avec lesquelles son esprit jonglait sans cesse depuis quelques heures : la science avait appris à la Terre, qu’à l’origine, Mars était une planète dont la surface était recouverte pour deux tiers de vastes océans d’eau et dotée d’une atmosphère riche en gaz carbonique et peut-être même en oxygène. Or, l’eau, le carbone et l’oxygène sont les bases du vivant.
Malheureusement, un déséquilibre précoce, dû à sa trop faible masse et à son éloignement trop important du soleil, a entraîné progressivement l’ex-planète bleue vers l’aridité et la raréfaction de l’atmosphère qui l’ont transformé en planète rougie par l’oxyde de fer, eau et gaz s’échappant dans l’espace ou, faute de tectonique des plaques sur le modèle de la Terre, s’enfouissant dans les sables.
Aucune pluie n’est tombée sur la planète rouge depuis plus de 3 milliards d’années.
Mais, au moment où sur Terre, la vie se réduisait encore à de simples organismes protozoaires, les océans régnaient à la surface de Mars. Pendant 300 millions d’années, entre 4,1 et 3,8 milliards d’années dans le passé, la vie a pu naître et se développer.
3OO millions d’années : une broutille à l’échelle de l’univers et même du système solaire, mais un temps largement suffisant pour que puisse éclore, dans le sillage chaleureux de la Vie, l’Intelligence, la société, la civilisation. Une civilisation qui, éprise d’éternité, comme toutes les civilisations, aurait laissé derrière elle, des traces de son existence, des symboles, des monuments si majestueux qu’ils auraient pu survivre à trois milliards d’années d’érosion. Etait-ce possible ?
Après tout, sur Terre, il n’ y a que 65 millions d’années, régnaient les dinosaures.
Ce que nous sommes, l’humanité, s’est développé en moins de 30 millions d’années. D’un groupe de primates effrayés par le froid et le feu, à une civilisation mondiale capable d’envoyer des machines dans l’espace, il ne s’est écoulé que 30 millions d’années, et exactement 3,7 millions d’années dans la dernière phase.
Dix fois moins que le temps imparti à la Vie et à l’Intelligence sur Mars…
Comment n’y auraient-elles pas éclos et prospéré ?
Le professeur frissonna : sur l’écran, le soleil couchant transformait le paysage martien en
antichambre des enfers. Prométhée, immobile, semblait se consumer dans la robe écarlate des vents de sable se reflétant sur son enveloppe d’aluminium.
Prométhée allait peut-être bientôt apporter un nouveau feu aux hommes.
Le feu d’une connaissance nouvelle. Le feu d’une forge céleste d’où émergera une nouvelle humanité, consciente plus que jamais de sa dimension stellaire.
Devrait-il lui aussi, comme son alter-ego mythologique, expier cette faute ?
Ô Mars, implora le professeur, en proie à un rêve éveillé, Dieu guerrier par excellence, puisses-tu permettre aux hommes de vaincre le combat de la Vérité et de mettre fin à leur solitude et leur isolement dans l’univers. Livres tes secrets sans réserve à une humanité qui adorait chacun de des levers nocturnes et qui voit en toi un nouvel espoir.
Car rouge est le sang, et rouge est la couleur de la victoire.
Rouge est la vie, en perpétuel mouvement…
- Halluciner les montagnes
Vers la fin du mois d’août 1997, la horde des varappeurs, randonneurs, campeurs et autres amateurs de verticalité, bref, tous ceux qui ne peuvent vivre éloignés de la montagne parce qu’ils la considèrent comme une mère communautaire, souvent généreuse et parfois cruelle, en laquelle ils reconnaissent leurs racines naturelles et leur raison de vivre, se trouvèrent confrontés à une vague de chaleur inhabituelle et quasi-insoutenable. Ceux qui fuyaient la moiteur des plages et l’enclume torride des après-midi urbaines, ceux qui étaient venus chercher en altitude, fraîcheur et air respirable, se trouvèrent fort pris au dépourvus.
A plus de deux mille mètres d’altitude, l’air brûlait les poumons tout comme dans la plaine.
C’était une impression étrange et désagréable, qui déroutait les amoureux des cimes.
Et chaque jour cela augmentait.
D’aucuns dirent même, notamment parmi ceux qui grimpaient les parois de pierre les plus abruptes pour en retirer paix intérieure, beauté des sensations et saine fatigue, qu’il s’agisse de varappeurs chevronnés ou d’arpenteurs d’échelons, que la chaleur semblait émaner de la montagne elle-même.
Ainsi, à partir du 15 août, la toute nouvelle « via ferrata » du massif du mercantour, près de la Colmiane, en France, fut pratiquement désertée par les touristes en quêtes d’authenticité. Le motif était toujours le même : les femmes s’évanouissaient, les enfants se déshydrataient sur les parois de pierre nue, certains tombaient, frôlant la chute catastrophique, seuls les hommes les plus résistants parvenaient à clore le parcours de trois heures. Après s’être réuni en urgence, le conseil municipal, pour éviter des accidents plus graves, et au grand dam des commerçants de la station de la Colmiane, décida la fermeture de la via ferrata.
Des vérifications obligatoires opérées par les concepteurs de cette attraction, démontrèrent la gravité de la situation : par endroits, les câbles d’acier composant le parcours avaient commencé à fondre et de nombreux échelons étaient manquants. D’autres branlaient et n’allaient pas tarder à tomber également.
Des mesures opérées au faîte des aiguillettes, deux rochers jumeaux, ont relevé une température de 43° celsius en plein soleil et de 40 ° à l’ombre. Jamais de mémoire de grimpeur on n’avait eu à affronter cela.
La montagne fut peu à peu désertée par les vacanciers, et même par les natifs, puisque le village de Saint-Martin de Vésubie fut littéralement déserté.
Les plus heureux dans cette affaire, furent les commerçants des stations balnéaires.
Car s’il y faisait aussi chaud, au moins la présence de l’eau en proportions considérables, permettait de profiter correctement de l’été : Juan-les-Pins, La Ciotat et Saint-Tropez connurent un boom incroyable.
En altitude, de nombreux autres petits villages furent contraints, au coeur de l’été, de se replier sur les villes de la vallée, en raison de la chaleur insoutenable et du manque d’eau, toutes les sources glaciaires s’étant apparemment taries, ou « évaporées ». Ainsi, tombèrent en hibernation, Gourdon, Tourette-sur-loup, dont le cours d’eau homonyme se réduisait dangereusement, Saint-Paul de Vence…etc.
On commença même à en parler aux informations télévisuelles.
La presse quotidienne parla de « sécheresse venue d’en-haut ».
Les scientifiques, climatologues et météorologues ne parvenait pas à expliquer cette formidable vague de chaleur qui affectait essentiellement les montagnes, en particulier les plus grandes des chaînes européennes, et notamment les Alpes de Haute-Provence.
Dans la Drôme provençale, le Mont Ventoux fut l’un des massifs les plus affectés par la chaleur. Il y fit bientôt tellement chaud que la base militaire qui se dressait à son sommet dut être évacuée, au grand déplaisir du ministre français de la Défense. Quelques généraux sur le retour, lassés de la paix prolongée suggérèrent audacieusement que c’était un coup des russes. Mais leurs suppliques en faveur représailles immédiates à l’arme bactériologique, demeurèrent bien entendu, vaines. Les retraites anticipées suivirent de près ces faits. Jean-Pierre Chevènement n’était pas homme à se laisser impressionner.
Cependant, les hautes-instances de l’État commencèrent à prendre la mesure du problème et sur les conseils de Jacques Chirac lui-même, la centrale nucléaire de Pierlatte, près du Mont Ventoux entré en combustion, fut fermée en quelques jours.
Près de Aix-en-Provence, la montagne Sainte-Victoire, rendue célèbre par les tableaux impressionnistes et inimitables de Cézanne, fut elle aussi sujette à un tel réchauffement qui semblait venir à la fois de l’intérieur et des cieux.
Toute activité sportive et toute ballade, même par la face Nord, traditionnellement fraîche et boisée, dut être suspendue : la végétation jaunit, puis commença à mourir vers le 20 août.
Les amoureux du vol à voile et du parapente durent renoncer à leur loisir : les traditionnels courants ascendants qui avaient fait de la face Sud de la Sainte-Victoire un site de vol privilégié, se transformèrent en instruments de mort. Ils étaient si chauds qu’ils entraînaient les voiles beaucoup trop haut, puis les repoussaient vers des zones froides où elles tombaient rapidement. Les pilotes souvent perturbés ou évanouis commettaient des erreurs parfois fatales.
On entendit même parler d’une journée si chaude, que les ondes brûlantes issues de la montagne, conjuguées aux rayons solaires avait consumé en quelques minutes un groupe de quatres parapentes lancés depuis le sommet. Il n’y eut aucun survivant. Après cette journée noire, des mesures furent prises pour interdire l’accès à la Sainte-Victoire.
Seuls les peintres, ceux qui espéraient marcher sur le traces de Cézanne, Renoir, ou Monet, purent demeurer. Mais, ils abandonnèrent rapidement leur chevalet : les vagues d’air chaud surgies du sol et des flancs de la montagne troublaient complètement la vue. Peindre était devenu tout aussi impossible que se promener ou grimper.
Paradoxalement, l’ensemble de l’avifaune provençale ne semblait pas du tout affectée par la chaleur. Quelque mystérieux artifice l’en préservait . Secret d’oiseaux, probablement.
Par contre, parmi les humains obstinés qui s’acharnaient à arpenter les contreforts de la montagne, plusieurs cas de brûlures graves au troisième degré furent répertoriés.
Un domaine vignoble possédant d’immenses arpents de vigne réputées au pied de la Sainte-Victoire, le Domaine de Saint-Ser, fit complètement faillite et toutes les vignes moururent, brûlées par le soleil ou la montagne.
Dans les massifs les plus élevés de l’Estérel, des dizaines d’incendies se déclarèrent sans que jamais on ne put les prévenir. Le Pic de l’Ours devint encore plus aride et plus rouge qu’il ne l’avait jamais été. La nuit, les incendies faisaient de sinistres ballets de flammes. C’était comme s’il s’agissait de combustion spontanée, ou plutôt comme lorsque l’on approche la tête de souffre d’une allumette, un peu trop près des flammes : elle s’enflamme toute seule.
La célérité des pompiers et des services d’évacuation de France, d’Espagne et d’Italie, permirent d’éviter de nombreux morts, sans pour autant pouvoir sauver tous ceux qui s’étaient décidés à demeurer près des fours réfractaires géants qu’étaient devenues les montagnes européennes.
En France et en Italie, à partir du 25 août, plusieurs zones de montagnes, telles que les Alpes, le Massif Central, les Pyrénées, les Dolomites, furent classées zones sinistrées. La sécheresse était devenue telle que toutes les sources se tarirent. Même l’élevage fut compromis, les troupeau ne trouvant plus à paître que de l’herbe brûlée.
Des populations entières de villages durent être évacuées vers les côtes.
Jamais la côte d’Azur ne reçut autant d’estivants que cette année-là.
La situation, à l’échelle européenne commença a devenir critique.
Les gouvernements nationaux étaient assaillis par des hordes d’associations écologiques les accusant de n’avoir pas respecté les normes de protection de l’environnement. Plusieurs sectes fleurirent dans l’été, l’une prônant notamment la fin du monde par le feu, le 27 août 1997, à 14h15, heure de Greenwich, ou l’autre la reconstitution de la couche d’ozone par la prière communautaire et la méditation. D’autres sectes encore, ayant réuni des fonds généreusement offerts par leur tous nouveaux impétrants, créèrent au pied des montagnes les plus chaudes, des communautés nudistes dont la vie était organisée en méditations matutinales, jeune diurne et orgies nocturnes. A ce rythme-là, nombreux furent ceux qui commencèrent à avoir des hallucinations. D’aucuns disaient que, la nuit, les montagnes parlaient, et qu’en leur sein, une lueur rouge rayonnait, si puissante, qu’elle les rendait translucides et que les pierres paraissaient fondre.
Certains chrétiens, et parmi eux, les catholiques les plus dogmatiques, osèrent y voir la fin du monde et l’approche du jugement dernier. Cependant, à Rome, le pape, prudent, ne fit aucune déclaration.
Les bouddhistes demeurèrent passifs et attentifs, comme toujours.
Pour les géologues, le phénomène demeura un mystère jusqu’à la fin. Des centaines d’analyses de la roche, qu’elle fut acide ou calcaire, ne permirent d’aboutir à aucune conclusion : tout semblait normal. La chaleur venait d’ailleurs.
La chose la plus étrange, la plus irrationnelle, la moins acceptable pour l’esprit humain, fut qu’à aucun moment, aucune des zones volcaniques les plus redoutées en Europe, terrestres ou même sous-marines, ne subit un tel réchauffement. Un second Pompéi n’était pas à l’ordre du jour et jamais le Vésuve n’avait paru aussi indolent.
Pendant cette époque, nombreux furent, certes, les trésors naturels qui disparurent.
Les routes aériennes commerciales, militaires et civiles, durent être modifiées : les instruments de vol des avions se déréglaient lorsque les appareils passaient à moins de 10 kilomètres à l’aplomb des montagnes.
Les émissions T.V. se multiplièrent et l’angoisse croissait.
Et si jamais la chaleur hallucinante née des montagnes, s’échappait de leurs entrailles pour descendre vers les plaines ?
Bien qu’à aucun moment ce ne fut le cas, des émeutes éclatèrent dans plusieurs grandes villes et ne purent être contenues qu’au prix de nombreuses vies humaines. Avant la fin du mois d’août, au paroxysme du phénomène inexpliqué, l’été fut surnommé, « L’été de Dante ».
Et pendant tout ce temps-là, chaque nuit, ceux qui contemplaient les constellations et les étoiles lointaines, purent voir à l’Est, un point rouge particulièrement brillant : Mars.
La planète rouge était proche de la Terre, en cette période.
Son éclat égalait presque la blanche lumière de Vénus, à chaque crépuscule.
Bien entendu, à cette époque, chacun avait déjà oublié les exploits de la sonde Pathfinder et de son acolyte le robot Sojourner.
Et, bien entendu, nul ne connaissait l’existence du Projet Kâ.
Excepté quinze personnes au monde.
Bien entendu.
- Contact !
Le Professeur Raphaël Alocca s’immergea dans le liquide sombre.
Le liquide était froid, les parois du caisson de réalité virtuelle l’étaient également, et même Bill Gates, penché vers son « cobaye » et tendu par des nuits de veille et la nécessaire concentration sur sa « machine à réalités », était loin de son air chaleureux qu’il arborait d’habitude.
L’instant était important et Raphaël Alocca, il le savait bien, ne l’abordait pas en aussi bonne forme qu’il l’eût voulu. Ces derniers jours, alors que Prométhée, guidé jusque là par le directeur de Microsoft lui-même, avait abordé les contreforts de « Cydonia Face », avaient été très longs. Bien entendu, depuis son arrivée, il n’était jamais ressorti de la salle secrète, qu’ils avaient surnommée « la tombe », un soir où la bière avait un peu épanché leur lassitude.
Pour sa famille, comme pour celle des autres scientifiques impliqués dans le Groupe, il était en mission quelquepart sur un site de lancement de la N.A.S.A ou sur un projet de satellite ultra-secret.
Bill Clinton était reparti le lendemain de son arrivée et un message impersonnel de Jacques Chirac, lui avait fait comprendre que le successeur de Mitterrand faisait également partie du groupe des Quinze.
Chaque jour se ressemblait depuis son arrivée. Au début, il avait dû se familiariser avec tout l’équipement et surtout avec celui concernant Prométhée, qui allait devenir dans les jours qui viennent son deuxième « kâ ». Les premiers tests avaient été éprouvants, notamment à cause du fameux « temps suspendu » qui sévissait surtout en cas de succession rapide de mouvements. Désormais, il contrôlait assez bien ses propres réactions et évitait des gestes inutiles au robot, mais cela avait été au prix de beaucoup de soirées gâchées par de forts maux de tête et des vomissements incoercibles. Une fois, il avait même perdu le contrôle de ses sphincters dans le liquide du caisson. Bill Gates avait mal contenu son énervement : des millions de nanotactels foutus en l’air ! Mais, au fond, il y avait trois caissons et la première victime, c’était quand même lui, l’ex-professeur, devenu par le biais du caisson, un explorateur à l’enveloppe de métal infrangible.
Malgré tous ces désagréments cumulées, l’aventure était extraordinaire.
Aujourd’hui, tout était prêt.
Aujourd’hui, il était prêt.
Prométhée l’attendait pour la plus importante de leurs promenades martiennes.
Cydonia Face ne pourrait pas résister à l’Homme-Machine.
En frissonnant, il s’allongea complètement dans le liquide du caisson et crut sentir les nanotactels s’agglutiner sur ses bras, ses jambes, son coup, ses mains, doigt après doigt, et même sur son sexe, bien que cela fut, en l’espèce, complètement inutile.
Bill Gates lui jeta un dernier regard d’encouragement, dans lequel il ne parvenait pas à dissimuler sa propre fébrilité, et referma hermétiquement le couvercle. Le professeur mit les lentilles sur ses yeux. Comme à l’accoutumée, en attendant que la connexion s’opère, Raphaël Alocca eût l’impression d’être enterré vivant.
Soudain, au coeur de la nuit, un chiffre rouge apparu : 5 !
Le décompte avait commencé. Le professeur sentit son corps se dissoudre lentement. Il perdait toute notion d’intégrité physique et il eût été bien en peine d’indiquer où se trouvait en se moment précis son pied droit.
4, 3, 2… Le professeur ne sentait même plus le liquide contre sa peau. Quelle Peau ?
Pour autant qu’il puisse en juger, il ne possédait même plus de paupières, de bouche, de langue… A quoi cela ressemblait-il une paupière déjà ?
1, 0 : CONNEXION
Un grand flash blanc l’aveugla temporairement.
Puis, il retrouva toute ses sensations d’un coup. Sur l’écran de sa conscience s’affichaient déjà des séries de données variées. Sa vue se précisa d’un seul coup : il était sur Mars ! Le paysage, véritable mosaïque de dégradés de rouge, allant de l’orange le plus clair, au vert bronze, en passant par le mauve du ciel, était d’une beauté surnaturelle.
Il était dans le corps de Prométhée, ou plutôt, IL était Prométhée.
Le professeur prit le temps, comme lors de chaque connexion, d’apprécier les potentialités de son nouveau corps. Il fit quelques mouvements amples et lents, avec une aisance et une fluidité bien supérieures à celles d’aucun muscle humain. Il se sentait à la fois si léger, et si puissant. Son champ de vision était de 180 °. Les données brutes s’affichaient en haut à gauche de son « oeil électronique », et, dans le coin en haut à droite, une incrustation d’image lui montrait ce qu’il y avait exactement derrière lui. Il entendait le vent souffler et en connaissait parfaitement la force et la direction. De même que la composition du terrain sur lequel il se tenait et le coefficient de résistance du sol par rapport à son poids lui étaient fournis à chaque pas. En portant le regard sur l’icône en forme de petit satellite aux ailes d’or, se trouvant en bas à droite de son champ de vision, il se connectait immédiatement avec l’ « Aigle » et, sur la moitié de son écran, il recevait une vue aérienne du site, très précisément cartographie, comportant sa propre position, celle de Janus, celle de Cydonia Face et celle de l’orbite qu’il comptait explorer à présent. De même, en élargissant le cadre, et en surimpression, il pouvait analyser tout mouvement de roche, de sable ou de vent, sur un rayon de 500 kilomètres.
Il ramassa une pierre quelconque et exerçant une pression de 80,5 kilogramme par centimètre carré, la pulvérisa. Il pouvait concentrer dans ses mains de titane, une pression allant jusqu’à 2 tonnes par centimètre carré. Grâce aux fines lamelles rétractables contenues dans le bout de ses doigts, dotées d’une précision millimétrique, il ramassa un infime fragment de la pierre martienne, plus petit qu’une tête d’épingle, et le stocka dans une des ouvertures de son poitrail prévue à cet effet. A l’intérieur de celle-ci, un spectromètre de masse l’analyserait, puis transmettrait directement les résultats à la sonde restée en arrière, qui les enverrait à travers l’espace vers la Terre, et tout cela sans qu’aucun effort conscient ne soit nécessaire.
Lorsqu’il était Prométhée, il avait parfois du mal à se souvenir de l’imparfait organisme du professeur Raphaël Alocca.
Mais, rapidement, l’esprit scientifique et rationnel, qui lui n’était aucunement affecté par le transfert, reprit le dessus. Prométhée-Raphaël s’ébroua et commença à gravir les parois du cratère dissimulant son coeur dans la pénombre de sa propre hauteur.
En moins de deux minutes, Prométhée, tel un chevalier étincelant se tenait sur le rebord du gouffre circulaire. Le diamètre de l’ « orbite creuse » était de 250 mètres. S’il s’agissait bien d’un cratère d’impact, il était bien trop profond (environ 120 mètres selon ses calculs) pour sa circonférence. De petites roches, troublées par l’intrusion, en dévalèrent les parois internes pour s’en aller cacher leur colère. Le professeur n’hésita pas longtemps : ayant été renseigné sur la consistance du sol, extrêmement dur, mais recouvert de régolite meuble, il s’engagea prudemment, en appuyant fortement chaque pas de manière à ce que Prométhée traverse la couche glissante et prenne directement appui sur la roche. Cette dernière, s’il en croyait ses capteurs était d’un type extrêmement dur. La densité avoisinait celle du granit et la résistance était celle du diamant. Il dut concentrer une puissance certaine pour en subtiliser un morceau là où elle était la plus fine, sur la crête.
Avant de plonger définitivement au coeur de l’orbite du l’unique oeil ouvert de Cydonia Face, il se retourna pour jeter un regard vers le bas du visage martien : là-bas, en contrebas, à peu près à 900 mètres au Nord, la balafre de la bouche s’ouvrait, béante et noire.
S’il avait pu frissonner, il l’aurait fait. Mais aucune émotion ne pourrait jamais troubler le fonctionnement de Prométhée, son « kâ » martien.
Le professeur-robot entama sa descente, calmement.
Lorsque la luminosité eut trop décru, il passa en vision infrarouge. Il ne voulait pas, très irrationnellement, se faire remarquer en allumant tout de suite la torche au magnésium fixée sur son épaule gauche. Mais, se faire remarquer par qui ?
Il voyait le fond du cratère approcher. Et autant qu’il puisse en juger, de ce fond, vaguement en forme d’ovale, il n’émanait ni lumière, ni chaleur, bref aucune énergie. Le professeur se sentit un peu déçu, mais son moi rationnel se fit violence très vite.
Que croyais-tu ?, s’insultait-il. Que tu allais trouver une ville enfouie, un vaisseau spatial, une balise lumineuse à laquelle serait accroché un texte écrit au laser sur des feuilles d’aluminium ouvragées, un martien au sourire engageant qui t’inviterait à entrer ?
Il atteignit enfin le sol arrondi et couvert de régolite de ce qu’il ne convenait peut-être plus d’appeler « cratère ». L’ovale décrit semblait trop parfait.
Le professeur fit passer Prométhée en mode vision normale et alluma la torche, oubliant sa retenue d’antan. La lumière éblouissante qui en jaillit, éclaira l’ensemble de la scène : rien ne semblait devoir se passer.
Sur Terre, dans les profondeurs du centre spatial de la N.A.S.A, Bill Gates et les autres scientifiques du Projet Kâ, tous réunis pour l’occasion, demeuraient interdits. Les données recueillies étaient immédiatement transmises à chacun des Quinze non présents dans la salle, par l’intermédiaire d’un mini-réseau extrêmement protégé, reliant entre eux des ordinateurs portables qui avaient été fournis par le directeur de Toshiba, lui-même membre du Groupe.
Sur Mars, Raphaël Alocca réfléchissait.
Au moment où il s’apprêtait à ressortir du cratère, envisageant déjà d’aller explorer la faille qui servait de bouche au visage, les capteurs de Prométhée détectèrent l’apparition d’une source de chaleur au centre du cratère. Le professeur éteignit la torche, mais demeura en vision normale : progressivement, une lueur rougeâtre apparut qui s’intensifia rapidement.
La chaleur montait à la même vitesse. Le squelette en titane de Prométhée pouvait résister à de très hautes températures, aussi le professeur ne jugeait-il pas nécessaire de s’éloigner.
La lueur devint lumière aveuglante, glissant du rouge au blanc.
La chaleur elle cessa de monter lorsqu’elle atteignit la température suffisante pour faire fondre le régolite. Prométhée accommoda automatiquement sa vue à la vive lumière par un jeu de filtres à cristaux liquides.
Puis lumière et chaleur décrurent de concert. Leur ballet était fini.
Le sol apparut alors au professeur sous son véritable jour : il avait la dureté, la brillance et la froideur d’un métal. Et, découpé dans l’ovale lisse, au centre exact du « cratère », se trouvait une porte circulaire de trois mètres de diamètre. Avant que le professeur n’ait eût le temps d’exprimer sa surprise et sa joie, la porte s’ouvrit en deux et coulissa en silence. A la place, se tenait, toujours dans le sol de métal, légèrement en retrait, une plate-forme circulaire, faite dans un matériau inconnu, sombre et absorbant la lumière.
Le professeur décida de suivre son intuition, et sans plus se soucier des problèmes de communication ou des dangers, il vint se placer sur la plate-forme. L’instant d’après, le robot et la plate-forme s’enfonçaient dans le sol vers une destination inconnue.
D’ores-et-déjà, les hommes du Projet Kâ savaient une chose : il existait une autre intelligence que l’humanité dans le système solaire, et celle-ci savait bâtir des objets complexes, les dissimuler et y apposer un sceau symbolique, en signe de bienvenue…
- Ainsi parlait Charon…
Le professeur prométhéen se retrouva dans un immense couloir à la blancheur immaculée. Il venait d’émerger du plafond, dont la voûte en forme d’ogive gothique semblait constellée de signes cunéiformes ou plutôt hiéroglyphiques. Prométhée filma tout cela. Le déchiffrage de ce langage prendrait certainement des années. Sans doute un Champollion de l’antique martien émergerait de la masse des chercheurs. Ce que le professeur avait sous les yeux était peut-être le premier élément de sa future pierre de Rosette…
Quoiqu’il en soit, pour être éclectique dans ses connaissances, Raphaël Alocca n’avait pas l’étoffe d’un linguiste et, même si certains de ces signes lui rappelaient les hiéroglyphes de l’ancienne langue sacrée de l’Égypte pharaonique, il s’abstint de toute tentative de traduction.
Ayant vérifié que le contact avec la Terre n’avait pas été interrompu, il s’avança dans le corridor, d’abord lentement, puis avec de plus en plus d’assurance.
La lumière, d’une douce couleur dorée, semblait émaner du corridor en lui-même. Les signes au-dessus de sa tête étaient surlignés d’un éclat orangé des plus féeriques. Il ne savait pas encore qui était derrière tout ça, mais, il avait, en tout cas, le sens du lyrique et du théâtral. Les martiens avaient dû être une civilisation des plus raffinées. L’architecture de ce couloir n’avait, par sa simplicité et sa luminosité, qu’un seul but : émerveiller, tout en le rassurant, celui qui l’empruntait.
Le couloir n’avait qu’une seule issue : une arche gothique très ouvragée et taillée dans un étrange matériau aux reflets pourpres. Sans hésiter, grisé par l’ambiance orchestrée par les formes et la lumière, Prométhée-Alocca passa dessous, en se baissant légèrement.
Il se retrouva dans une pièce blanche et nue à l’exception d’un autel de pierre, sur lequel se trouvait…un être d’une beauté surnaturelle : il s’agissait d’un très vieil homme, à la barbe blanche, aux yeux d’un gris insondable. Le plus impressionnant était qu’il avait l’air humain, plus humain même que les hommes de la Terre.
Comment avait-il survécu ici, et depuis combien de temps ? Le professeur ne pouvait voir nulle part de mécanismes, de machines, d’éléments pouvant lui permettre de conclure à l’existence d’un système d’hibernation. Peut-être s’agissait-il de quelquechose de bien plus perfectionné, inimaginable pour un esprit de la Terre ?
A l’arrivée du professeur, le personnage hiératique se redressa, sans effort apparent, ni grimace de douleur et, assis sur l’autel, regarda calmement le robot piloté depuis la Terre.
Lorsqu’il parla, ses mots étaient ceux d’une langue inconnue, mais la signification en surgissait en latin dans l’esprit du professeur. Sa licence de lettres anciennes fut par la suite bénie par l’humanité toute entière.
– « Vous voilà enfin… Il vous a fallu du temps… J’a urai préféré que vous veniez en personne…
C’eût été incontestablement une marque de respect pour l’ancêtre que je suis et qui vous a attendu depuis si longtemps, en fait depuis plus de 3 milliards d’années… Enfin, l’important, c’est que l’heure du contact est arrivée…
Vous, gens de la Troisième planète, je connais le mystère de vos origines, je sais l’histoire de deux planètes soeurs, de Mars et de la Terre, car je suis le Veilleur, le messager que ceux de ma race ont laissé en arrière dans le Temps, pour que ceux de la votre apprennent la Vérité. Dans ma vie d’avant la Longue Nuit, j’étais un Sage. On m’appelait Charon… »
Le professeur, par l’intermédiaire de l’interface vocale dont un esprit prévoyant et ouvert avait doté Prométhée, balbutia en latin quelques excuses maladroites. L’émotion l’empêchait de réfléchir.
Charon hocha la tête en guise de remerciement, puis se laissa glisser au sol.
Il fit quelques pas, puis se tourna vers les murs arrondis du…sanctuaire. C’était le mot qui venait à l’esprit de Raphaël Alocca. D’un geste, le vieil homme les rendit translucides, puis ils se mirent à chatoyer de milliers de couleurs vives et inorganisées qui s’échangeaient en un rythme rapide et presque hypnotique. Des images allaient surgir de ce chaos lumineux, le professeur en était certain. IL veilla à ce que l’une des caméras de Prométhée enregistre tout, puis reporta son attention sur Charon.
Le vieux Sage s’était avancé vers Prométhée et de près comme de loin, il avait l’air toujours aussi humain. La conclusion qui s’imposait, refusait pourtant de franchir les limbes de l’inconscient du professeur. Car elle était trop forte pour son équilibre psychique. Le cerveau s’auto-protégeait. Charon d’un geste, fit sauter ce verrou psychique et prenant par la main l’esprit de l’humain terrifié par tant de révélations à venir, le guida vers la Vérité.
– «Il y a environ 4 milliards d’années, sur cette planète que nous appelions Kâres, s’épanouissait une civilisation raffinée et empreinte de rationalité. Cette civilisation, qui fut la mienne, avait percé les secrets de l’atome, des étoiles et de la vie. Elle avait exploré l’ensemble du système solaire et commencé l’exploration des étoiles lointaines.
Les arts, musique théâtre, danse et image, narration, y étaient rois. Chacun d’entre nous en connaissait plusieurs. Les sciences y étaient la base nécessaire de toute éducation, et l’éducation était la clef de nos cités de Kâres. Nous vivions selon un système communautaire dans lesquels le critère de dévolution du pouvoir était avant tout sophocratique. Il s’agissait d’un gouvernement par les Sages… »
Sur l’écran mural, Raphaël Alocca pouvait voir des paysages martiens non plus rouges et arides, mais couverts de forêts entre lesquelles s’élançaient de larges fleuves et d’impétueux torrents. Aux confluent de deux fleuves, une cité aux murs blancs se dressait. Le professeur l’examina longuement : elle était bâtie en cercles concentriques, tantôt de terre et d’eau, puis vers le coeur, les cercles gravissaient une colline dont le sommet était couronné par un palais à l’architecture simple et dépouillée. Ce que le professeur contemplait, là, surgie d’un passé immémorial et d’outre-terre, c’était la synthèse parfaite des cités platoniciennes. Un mélange idéal entre la République, quant au mode de gouvernement et au rôle de l’éducation, et l’Atlantide quant à la forme de la cité.
Mais, comment expliquer une telle coïncidence ?
– « Sur les murs intérieurs de nos cités étaient gravées toute la somme des connaissances que notre civilisation a accumulé au cours des ères. Ainsi, chacun pour apprendre librement chaque jour, et les enfants, grandir tout en s’amusant. Chaque cité comprend autant de cercles qu’il y a de planètes dans le système solaire. Comme vous pouvez le constater, il y a en dix, plus l’éminence centrale. C’est qu’au tout début de l’histoire de notre système, une dixième planète venait s’intercaler entre celle que vous appelez Jupiter et notre Karès. Mais celle-ci fut détruite dans les circonstances que je vais évoquer à présent. Pour en revenir au palais au coeur de la cité, il était occupé par le plus grand Sage parmi les sages que nous baptisions Râ, ce qui signifie Soleil dans notre langue sacré. Il gouvernait en prenant conseil auprès des autres sages. La structure sociale de nos cités était, pour reprendre une définition par vous compréhensible, mais bien lacunaire, communiste : nul homme n’était mis au ban de la société, chacun avait droit aux mêmes choses, pain et éducation étaient universels. »
Maintenant les descriptions de Charon évoquaient irrésistiblement l’utopie moins connue, mais que le professeur avait étudié, du moine dominicain Tommaso Campanella, intitulée « La cité du Soleil » et publiée en 1604 : communisme, sophocratie, structure concentrique évoquant la cosmologie galiléenne…
Mais pourquoi cette occurrence égyptienne ? Râ, le soleil…Était-ce encore une coïncidence ?
Le professeur regarda Charon dans les yeux. Et il y trouva formulée la vérité, sans fard, ni détour. Et cette vérité était si logique, au fond, que le professeur l’accepta telle qu’elle était :
Tous ces textes d’auteurs antiques décrivant des cités idéales, toutes ces utopies écrites pour proposer un gouvernement et une structure sociale stables et équilibrés, n’étaient que des réminiscences : Platon, More, Campanella, Cabet, Mandeville, Fourier, Wells…et tous les auteurs qui avaient voulu créer un modèle de cité idéale, ne faisaient que SE SOUVENIR.
Ils captaient, jaillis de l’inconscient collectif de l’humanité, des fragments d’une réalité immémoriale et les retranscrivaient plus ou moins fidèlement. Et ce dont ils se souvenaient, sans pouvoir l’exprimer clairement, c’était qu’avant d’être terrestre, l’humanité fut martienne.
L’homme est né et s’est épanoui sur Mars, ou Kâres, puis s’en est allé sur Terre et a tout oublié de ses origines, jusqu’à aujourd’hui.
Mais une question demeurait plus prégnante encore : Pourquoi ?
- L’Exode.
– « Après plus de 300 millions d’années d’évolution », reprit Charon le Sage, «notre civilisation commença à décliner. Nos arts et nos sciences semblèrent se tarir soudainement. Peu à peu, les guerres commencèrent à éclater entre des cités qui jadis étaient soeurs jumelles. D’aucuns dirent que nous avions atteint le sommet de l’Humain, et qu’à présent nous ne pouvions que redescendre. Je le crois pas.
Je crois qu’il s’est agi simplement d’un avertissement que nous n’avons pas compris. A tout le moins, nous pûmes éviter des catastrophes planétaires, car l’arme nucléaire avait été bannie depuis au moins 5000 ans, lorsque commença la période des « Guerres Marines » appelées ainsi car l’essentiel des combats se déroulait sur les eaux de la Mer Nodale, que vous appelez aujourd’hui le canyon de Lowell, dans la vallée de Marineris. Nos nefs de combat ressemblaient aux navires vikings de la Terre, en plus perfectionnées.
Mais l’apocalypse que nous avions pu juguler dans nos mesquins conflits planétaires, nous ne pûmes la contenir lorsqu’elle vint des cieux. En l’an 5301 de l’Ère de Râ, nos astronomes et nos satellites d’observation détectèrent l’approche d’une comète géante, venue de ce que vous nommez le Nuage d’Oort. Celle-ci, compte tenu des influences gravitationnelles qu’elle allait rencontrer en traversant le système solaire, en fonction de la position des quatre planètes telluriques notamment, allait venir s’écraser sur Kâres à sa prochaine révolution solaire. Et nous n’avions pas les moyens physiques de l’empêcher. Toutes nos armes nucléaires avaient été détruites et jetés dans l’espace en direction du coeur du Soleil, où elles s’étaient consumées entièrement. Notre technologie, basée sur la lumière, l’énergie solaire et le laser, était impuissante à modifier l’orbite de la comète ou même à fragmenter son noyau.
La comète fut baptisée « Némésis ».
Il ne restait qu’une solution possible, et la décision de l’Exode fut prise par un concile oecuménique de Sages. J’en faisais partie, en tant que Râ d’une des plus importantes cités de Karès, sise au sommet d’Olympus Mons. Pendant la dernière année martienne, toutes les ressources de l’industrie planétaire furent mobilisées à la construction d’arches stellaires. Malgré tous les efforts fournis, nous ne pûmes construire que cinq vaisseaux.
Une partie de la population de Kâres, comportant une majorité de femmes et d’enfants, fut embarquée dans chacune de ces cinq Arches avec toute la somme des techniques et des connaissances accumulées pendant plus de 100 000 ans. Des spécimens de la faune et de la flore furent également emportés, ainsi que tous les types de céréales et de fruits.
Chaque Arche Stellaire fut placée sous le commandement d’un Sage volontaire. Cinq destinations d’outre-système solaire furent déterminées, en fonction de probabilités élevées en faveur de l’existence de ce que vous appelez aujourd’hui exoplanètes, gravitant autour d’étoile G ou K, de type solaire. Ainsi, avant même que « Némésis » ne coupât l’orbite de Pluton, les cinq Arches avaient quitté le système solaire en direction d’étoiles appartenant aux constellations du Cygne, de la Lyre, d’Orion, de Pégase, et de Cassiopée.
Lorsqu’elle atteint l’orbite de Saturne, « Némésis » subissant fortement l’influence gravitationnelle de la géante gazeuse, se scinda en deux parties inégales. Nos astronomes, qui ne l’avaient pas prévu, refirent tous leurs calculs. Le résultat ne se fit pas attendre : le plus gros morceau de « Némésis » allait percuter la quatrième planète tellurique, entre Mars et Jupiter, que nous appelions « Keria » et la disperser en millions de fragments, que vous appelez aujourd’hui, la ceinture d’astéroïdes; l’autre morceau de la comète, que nous avions rebaptisé « Styx » percuterait de plein fouet Kâres. Cependant, désormais, même si le choc serait suffisant pour annihiler toute de forme de vie à sa surface, « Styx » ne parviendrait pas à détruire Kâres. Notre planète allait être marquée au fer blanc, mais conserverait sa place dans le cheptel solaire du Dieu berger ».
Sur l’écran, la comète « Némésis », immense, emplissait le ciel nocturne de Kâres. On voyait très distinctement sa double queue de poussières et de gaz. Elle était terrifiante. A côté d’elle, la très brillante Hale-Bopp qui avait magnifié les nuit d’avril-mai 1997, sur Terre, semblait bien falote.
Le professeur Raphaël Alocca, et avec lui l’ensemble des Quinze, supplia Charon de continuer son récit. Désormais, les hommes de la Terre se sentaient plus que solidaires avec les hommes de Mars. Raphaël pressentait le lien exact entre eux, mais attendait que Charon y vienne de lui-même. Il ne lui fallut pas attendre longtemps.
– « Il nous restait donc à prendre une solution concernant tous ceux qui n’avaient pu prendre place à bord des Cinq Arches Stellaires. Il fut décidé que l’on équiperait tous les vaisseaux interplanétaires disponibles et leur destination à l’intérieur du système solaire fut aisément déterminée : la seul planète viable, comportant une atmosphère à base d’oxygène de gaz carbonique, et de l’eau à l’état liquide, était notre plus proche voisine, « Gaia », votre Terre. Au moment où nous décidâmes de nous y réfugier, il y a de cela 3, 8 milliards d’années, la vie y avait déjà éclos depuis des millions d’années, mais aucune civilisation n’avait émergé de la vase primordiale. Une violente tectonique des plaques et une forte activité volcanique, rendaient la planète inhabitable en l’état. Mais, comme aucune autre solution ne se présentait, et à l’appui des analyses rendues par les géoprospectivistes, il fut décidé que les vaisseaux s’enfouiraient profondément dans les profondeurs du sol et que leurs passagers demeureraient en état de cryogénisation totale pendant tout le temps nécessaire à la stabilisation des sols et des climats. Il était donc prévu que les martiens exilés ne se réveillent qu’après la dernière glaciation, il y a plus de 10 000 de vos années. »
- L’héritage de Kâ
Après une courte pause, Charon reprit :
– « Les Sages décidèrent cependant de ne pas léguer la somme des connaissances de Kâres à ceux qui partiraient vers « Gaia-Terre ». Il n’y eût qu’un nombre très limité de techniciens et de scientifiques dans ces chaloupes spatiales. Les survivants de Kâres n’aurait que leur capacité d’adaptation et leur intelligence pour s’en sortir. Il leur faudrait recommencer et surtout oublier leurs origines, pour pouvoir reconstruire une civilisation à part entière.
Cela faisait partie du Plan.
Le site principal choisi pour l’implantation des chaloupes spatiales fut le nord et le sud de ce qui allait devenir le bassin méditerranéen au coeur du continent que vous nommez Europe. Il nous semblait qu’y seraient réunies un jour les conditions propices à l’éclosion de plusieurs civilisations brillantes. Vous nous avez démontré la justesse de cette analyse. Et lorsque ces civilisations auraient atteint un niveau de technologie suffisant, nous pensions qu’elles seraient à même de venir chercher leur héritage sur Kâres elle-même.
C’est ce que vous faites aujourd’hui.
A cet effet, 23 d’entre-nous, tous pris parmi les Sages acceptèrent de demeurer sur Kâres, au risque d’y périr pendant la rencontre avec Styx. Nous fûmes placés en état d’animation suspendue, au sein de sanctuaires faits du métal le plus résistant que nous connaissions et qui comportaient, tout comme sur les murs de nos cités, toutes nos connaissances et toute notre histoire gravées sur les parois des couloirs comme celui que vous avez emprunté et que d’autres emprunteront à nouveau. Le visage « dessiné » au-dessus de chaque sanctuaire, n’avait pour seul but que d’attirer l’attention des plus éclairés et des plus ouverts de vos scientifiques ou astronomes. Vous avez découvert Cydonia en premier et c’est moi, Charon le Sage, qui ai l’honneur de vous conter l’histoire de vos origines.
« Ainsi, il y a des éons, lorsque, sur la Terre, le moment fut venu, les vaisseaux s’entrouvrirent et laissèrent s’écouler le flux des survivants de Kâres dans la biosphère terrestre. Puis, suivant un programme informatique impératif, ils se refermèrent et se laissèrent à nouveau recouvrir de roches et de sédiments. Parmi les Premiers, beaucoup moururent, et seuls les plus résistants survécurent. Les rencontres avec les races animales primitives de la Terre, leur furent souvent fatales.
Et fatalement, ils régressèrent.
Cependant, bien qu’ils aient perdu toute technologie complexe, ils puisèrent dans les souvenirs de leurs gloires passées, la magnificence incomparable des premières civilisations terrestres.
L’Égypte Pharaonique, Babylone, La Grèce, L’Etrurie, et Rome, pour ne citer qu’elles, sont des fragments de l’histoire kâressienne adaptés à la Terre. La religion des anciens égyptiens démontre bien de cette origine stellaire : elle est une cosmologie imagée, la mise en équation du fonctionnement de L’univers, dans laquelle les actions et les noms des dieux remplacent les symboles mathématiques oubliés. Elle témoigne d’un savoir oublié, mais toujours présent. De même que toutes les mythologies de votre antiquité se rappellent le cataclysme originel qui a entraîné l’Exode. D’aucunes le nomment Déluge, mais le plus souvent les récits rappellent que le feu est tombé du ciel. Seul manque le fait que la conflagration a eu lieu sur Kâres elle-même. Tout, dans les fondements les plus solides de la culture méditerranéenne, et plus largement mondiale, porte la trace de cette cosmogonie.
Aujourd’hui, au moment même où vous venez de prendre le premier contact, les chaloupes interplanétaires qui vous ont déposé sur Gaia, sont en train de remonter vers la surface.
que vos frères ne s’inquiètent pas. Nulle apocalypse ne les menace. Les montagnes vont s’ouvrir à nouveau, pour offrir à ceux qui furent les habitants de Kâres, un voyage vers leur planète d’origine, et la possibilité de sillonner le système solaire dans son entier, pour en recueillir les fruits innombrables et refaire de Mars un monde viable…
Car tel est votre droit
Car tel est votre devoir.
Car tel est votre Héritage… »
Charon, ayant dit tout cela, se tut.
Sous les yeux de Prométhée-Alocca, il commença à se dissoudre dans l’air cristallin du sanctuaire. Le professeur jeta un coup d’oeil aux données télémétriques : cet air était respirable, les proportions des différents gazs correspondaient à celles de l’atmosphère de la Terre. Ce qui voulait dire, que la prochaine fois qu’on se rendrait dans l’un des 22 visages restants, l’Homme pourrait le faire en personne et voir ses plus vieux aïeuls de ses propres yeux, les toucher, serrer dans ses bras ceux qui l’ont sauvé du Néant.
Il se sentait heureux, même si beaucoup de questions encore restaient posées.
En disparaissant, Charon avait un air paisible. Il avait sacrifié sa vie à sa mission et l’avait remplie au-delà de toute espérance. Raphaël Alocca veillerait à la place du Veilleur.
Il guiderait ses successeurs sur le chemin de la Vérité, de la réunion avec Mars.
Lentement, il ressortit du sanctuaire, grimpa les parois rocheuses du faux cratère, et arrivé à son faîte, contempla l’horizon de la planète rouge.
Le paysage, les roches, le sable.
Mars était incandescente, comme une braise qui s’éteint et meurt lentement.
Mais un jour prochain, les hommes de la Terre, enfants de Kâres, la feraient renaître de ses cendres, tel le Phénix des légendes.
L’humanité venait de renouer avec ses origines.
Elle venait de retrouver Kâ.
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Épilogue.
Au début du mois de septembre 1997, alors que la vague de chaleur avait atteint son paroxysme et que toute zone montagneuse en Europe, avait été désertée depuis longtemps, cinq parmi les plus importants hommes d’État du monde firent une déclaration commune.
Bill Clinton, Jacques Chirac, Hassan II, Hosni Moubarak et Boris Eltsine informèrent le reste du monde de l’existence et des résultats du Projet Kâ.
L’humanité est originaire de Mars, dirent-ils en substance, nos frères en exil, ont déjà colonisé les étoiles lointaines et un jour prochain, lorsque nous aurons recueilli l’ensemble de notre héritage martien, nous pourrons les rencontrer et peut-être les rejoindre dans une vaste confédération galactique, continuèrent-ils. C’est une nouvelle ère qui commence, clamèrent-ils.
Nous entrons dans la pleine maturité de l’humanité, qui s’inscrit dans l’Âge des Étoiles
Nous pourrons résoudre tous nos problèmes à condition de s’y atteler tous ensemble.
Nous entrons dans un âge de Paix.
Et leurs peuples les crurent et comprirent l’immensité de cette Révélation.
Alors les montagnes s’ouvrirent et d’étincelants vaisseaux apparurent.
Mais chacun s’y attendait.
Des collèges entiers de scientifiques, de techniciens, d’historiens et de philosophes, embarquèrent à bord des deux plus gros, celui du Mont-Ventoux et celui de la Sainte-Victoire, à destination des visages martiens.
La chaloupe « provençale » de la Sainte-Victoire fut baptisée « Cézanne » et devint le vaisseau de tête de toutes les expéditions scientifiques et bientôt industrielles et commerciales qui sillonnèrent tout le système solaire avant la fin de l’année 1998.
Les tableaux de Cézanne montrant la Montagne Saint-Victoire acquirent une valeur jamais égalée par une oeuvre d’art. Ils devinrent le symbole de la charnière entre deux âges.
Ils furent même reproduits sur la coque de chacun des 35 vaisseaux martiens donnés à la Terre en héritage. Jamais un artiste n’a connu une telle renommée dans l’histoire de l’univers.
En 2005, le premier contact interstellaire fut établi avec Ceux de la Lyre.
En 2030, un vaisseau dénébien, venu du Cygne, se posa sur l’esplanade des Champs-Elysées, au coeur de Paris : les hommes et les femmes qui en sortirent, prirent les hommes et les femmes qui accouraient dans les bras. Les anciens et les nouveaux martiens dansèrent pendant trois jours et trois nuits, puis ils firent le tour du monde.
En 2040, une délégation venue de Bételgeuse, dans la constellation d’Orion, apporta à la Terre, en gage d’alliance et d’amitié, des connaissances médicales capables de vaincre toutes les maladies infectieuses connues et à venir.
En 2080, le premier vaisseau interstellaire fut construit dans les ateliers d’Olympus Mons, sur Kâ. Il s’élança avec 500 personnes à son bord, prêtes à recommencer une nouvelle vie, vers Cassiopée.
En 2320, Kâ était redevenue une planète vivante, peuplée par 2 milliards d’âmes.
Le site de Cydonia Face devint un lieu de pèlerinage.
Quant au professeur Raphaël Alocca, il devint aussi célèbre qu’Einstein et Moïse en leur temps. Il disparut en 2015, alors qu’il se promenait dans sa région natale, près de Saint-Jean Cap Ferrat. Nul ne sait ce qu’il est devenu, personne ne l’a jamais revu.
D’aucuns disent qu’il s’est dissout dans l’air, comme Charon.
Seule Kâ, qui est la mère éternelle de l’Homme, le sait.